Pourquoi la gauche va mal, entretien avec Omar Bendjelloun
Dans cette interview accordée au Site info, Omar Bendjelloun, Avocat et Universitaire, acteur politique de Gauche, revient sur les résultats des dernières élections et livre une analyse de l’état actuel de la Gauche au Maroc. Neveu d’Omar Bendjelloun cofondateur de l’USFP et fils d’Ahmed Bendjelloun fondateur et Secrétaire général du PADS (scission de l’USFP composante de la FGD), il nous parle également de sa dernière rencontre avec Abderrahmane Youssoufi à qui il a récemment rendu visite. Entretien.
Comment expliquez-vous les résultats de la gauche lors des dernières élections ?
D’abord c’est un contexte général d’une société conservatrice qui s’éloigne des valeurs progressistes de par le fait que ces dernières ont été combattues ideologiquement et sur le terrain politique. Ensuite, la perception des gouvernements successifs de la gauche gouvernementale parmi les citoyens a dégradé l’image de la gauche en général. Enfin, cette participation a installé la gauche dans l’auto-destruction et le suivisme. La gauche gouvernementale a par exemple remplacé le devoir de réconciliation avec « les forces populaires » par une paresse politique qui est de se rattacher à des locomotives électorales comme le PAM pour l’USFP et le PJD pour le PPS. Résultat: régression notoire au sein de l’institution législative malgré les notables et autres squatteurs. Quant à la gauche non gouvernementale en la personne de la FGD, c’est devenu une plateforme de récupération du duopole électoral que sont le PJD et le PAM qui tirent vers eux les militants et dirigeants, au lieu d’exécuter la belle idée de la troisième voie alternative audit duopole véhiculé par sa littérature et son discours. Résultat synthétique de ces réalités: la débâcle électorale qui menace la gauche d’un isolement long.
Selon vous, pourquoi Nabila Mounib, qui a fait une campagne remarquée, n’a pas obtenu de sièges ?
La gauche non gouvernementale souffre d’un manque de pragmatisme électoral doublé d’une certaine naïveté qui peut être positive dans une logique non institutionnelle. Mais en bataille électorale, cette naïveté peut être dévastatrice lorsqu’on confond peuple virtuel et réel ou lorsqu’on est grisé par une autosuffisance médiatique déconnectée de la réalité populaire ou encore lorsqu’on pêche par une ouverture non maîtrisée ou parfois contradictoire aux alliés objectifs et à la sociologie politique de la gauche. Aussi, le cumul des déceptions et des échecs, et les séquelles des luttes intestines non encore inscrites dans une réconciliation interne, poussent les dirigeants à faire des choix irrationnels politiquement parfois même basés sur des rancunes contre productives ou des fautes irréversibles en communication. Ce n’est pas là la responsabilité d’une personne mais d’une mentalité générale dépressive à gauche.
Omar Balafrej a été assez critiqué, notamment par Ali Bouabid. Est-ce un faux débat et comment expliquez-vous une telle sortie
Ali est un intellectuel perfectionniste brillant dont le schéma paradigmatique est à l’opposé de celui d’Omar qui est un acteur purement électoral. Le traitement de la symbolique chez l’intellectuel relève de la valorisation du patrimoine historique commun de la gauche et non de la séduction des électeurs de gauche. Toutefois, Omar et Dr Chennaoui sont attendus sur leur action législative et les prérogatives de contrôle du gouvernement et d’enquête sur le denier public. Une fois le deuxième vendredi d’octobre passé, symbolisant l’ouverture annuelle du Parlement par SM Le Roi, seul « le rouge du tarbouche » d’Abdellah Taïa rappellera le chapeau national a qui aura le temps de s’y intéresser.
Pensez-vous que les choix actuels de l’USFP sont justifiés ?
Je crains que l’USFP et le PPS ne soient dans une logique de survie. Je n’en dirai pas plus. Faudrait- il aujourd’hui construire autour de la Fédération de la Gauche Démocratique comme la gauche française a construit autour des frondeurs de la SFIO pour se diriger vers la création du PS ?
Etes-vous pessimiste pour l’avenir de la gauche ?
L’idée de gauche est éternelle. d’autant plus qu’elle a de l’avenir de par le fait que l’Homme avec un grand H sera amené à revoir ses priorités spirituelles, identitaires et individualistes par des priorités de justice sociale et de dignité. Ce sont là les piliers fondamentaux du socialisme. La difficulté réside dans les véhicules qui permettent la grandeur et le triomphe du progressisme dans notre pays. Aujourd’hui ces véhicules sont en panne.
Vous avez rendu visite à Abderrahmane Youssoufi à l’hopital. Que représente cette rencontre pour vous Que vous a-t-il dit ?
Si Abderrahmane avait une relation particulière avec la famille Bendjelloun: avec mon oncle Omar Bendjelloun, il est condamné au procès de 1963 et celui de 1973 par contumace. Les deux hommes conduiront des délégations à l’étranger pour défendre l’intégrité territoriale du Maroc. En tant qu’Avocat, il avait confié à Maitre Butin de s’enquérir de la disparition de mon père Ahmed Bendjelloun à Madrid en 1969. A chaque rencontre, le charme et la sagesse de ce grand homme suscite l’émotion, l’apaisement et la confiance quant à la non disparition d’une certaine incarnation de l’honnêteté. Ses conseils et ses encouragements demeurent une source de détermination. Il a regretté que je ne me sois pas présenté aux élections du 7 octobre et il a demandé mon avis sur les résultats de la gauche. Son message était principalement basé sur notre rôle dans l’avenir.
Propos recueillis par H.B.