Marrakech: Le baiser de la honte
Par Nour Eddine
Au réveil, à plus de mille kilomètres de mon pays, me parvient une nouvelle déchirure, une nouvelle blessure et une nouvelle maladresse. Le tissu social est encore une fois malmené et le cœur citoyen a envie de hurler : « Assez ! ».
D’une part, ce qui nécessitait une simple remontrance avec des mots simples est devenu une affaire au sens national. Une affaire, parce que des adolescentes ont joué à l’amour. Oui, un baiser n’a qu’une signification et tout le mal que l’on peut y trouver est dans notre conscience du sens à donner à ce sentiment incontrôlable et, la plupart du temps, spontané. Le baiser signifie qu’il y affinité, attirance et algèbre des pulsions bio-physiologiques qui s’opèrent derrière notre propre conscience des choses et des êtres. D’autre part, elles ont osé… s’offusquera notre très propre ministre de la justice et des libertés ! La justice et les libertés affiche-t-on sur le fronton du ministère. Quelle justice ? Quelle liberté ? Celle qui s’endort quand ce sont des membres de son parti qui fautent ou celle qui s’ébranle quand il y voit une occasion pour paraître plus propre !
La justice n’est pas la morale, Monsieur le ministre. La justice tend à sanctionner un délit ou un crime. Un délit ou un crime, c’est quand un citoyen est lésé. Un baiser de jeunes filles lèse-t-il quelqu’un ? Ou, peut être, pensez-vous au jeune homme présumé qui aurait dû avoir ce baiser ? Si oui, le baiser de Nador n’était pas homosexuel et pourtant, vous en avez fait un crime !
Ce que vous cherchez, Monsieur, ce n’est ni la santé morale de la société ni l’image du pays. Vous voulez cadrer avec l’image que vous devez donner à vos commanditaires des pays qui soutiennent le courant de pensée qu’ils financent et encouragent.
Vous n’êtes ni plus ni moins propre que n’importe quel citoyen avec ses faiblesses, ses qualités, ses désirs et ses ambitions.
Le petit incident (oui, c’en est un et même pas un incident !) mérite-t-il qu’on mobilise la police, les fonctionnaires du tribunal, un juge, des assesseurs ? Et on viendra nous dire que nos tribunaux sont surchargés, que les affaires mettent des années pour être jugées, etc.
La justice n’est pas une machine à obliger les gens à vivre comme vous interprétez les textes, elle assure la sécurité des biens et des personnes. Quel bien, quelle personne s’est trouvé dérangé par un baiser d’adolescentes ? Au contraire, elle annonce qu’un maillon de la citoyenneté est soit manquant, soit faible. Posons-nous la question, la vraie et l’unique : Notre école est-elle à la hauteur de nos prétentions ?
Quand j’entends qu’untel a épousé 2, 3 et 4 femmes et que vous acceptez cette injustice, je me demande de quelle justice on parle ! Celle qui autorise un homme à se croire assez citoyen pour mériter 4 femmes, 4 citoyennes ! La justice n’est pas dans le texte que vous interprétez à votre manière, elle s’inspire du texte suprême de la nation : La constitution qui préconise l’égalité des citoyens et citoyennes, avant d’être musulmans, chrétiens, juifs ou athées ! Le principe d’égalité étant enfreint, tous les polygames sont coupables d’un bien plus grand crime que le baiser d’adolescentes !
On apprend qu’un chauffeur a tué des personnes dans un accident de la route. Il était en état d’ivresse. L’alcool est vendu librement et ce n’est pourtant pas musulman du tout. La justice aurait été d’arrêter les consommateurs, les commerçants et les producteurs. Il n’en est rien. Aucun ministre n’a osé. Est-ce parce que, dans ce cas, l’islam est tolérant ou est-ce parce que vous n’avez pas la volonté, ni la capacité, de vous attaquer à ce fléau, à la racine, au ras du sol des pieds de vignes où le vin est produit ?
Quelle est cette justice à géométrie variable qui ne relève la tête que quand l’intérêt du parti est en jeu et regarde ailleurs quand elle risque d’ébranler ses prétentions et de craindre pour sa survie ?
Ces deux adolescentes ne sont pas coupables d’avoir échangé un simple baiser, c’est la société, la véritable coupable ! Où sont les enseignants chargés d’expliquer, de convaincre et d’instruire ? Où sont les parents qui, si cela se trouve, sont eux-mêmes victimes d’une école défaillante ? Si vous voulez vous attaquer au baiser d’adolescent(e)s, attaquez-vous d’abord à l’état qui est chargé de l’instruction, du travail et de la santé. La raison veut que pour être exigeant avec les autres, il faut l’être avec soi-même ! Éradiquez les injustices commises au nom d’Allah, de la polygamie à l’héritage, et vous commencerez alors à étudier ce que vous pouvez exiger de la société ! Vous n’avez pas le monopole de l’amour du pays et d’Allah comme vous n’êtes point si indispensable que sans vous et votre parti, le pays périrait. Vous vous attaquez à des siècles d’intelligence et toutes vos gesticulations partiront avec vous quand vous ne serez plus là.
Ce sont les Marocains et eux seuls qui décideront quel Maroc ils veulent et souvenez-vous qu’ils sont plus de 34 millions en face de ceux qui ont voté pour vous !
