Les déchets italiens: un scandale écologique?
Par NOURR Edine
L’affaire dite des « déchets italiens » a pris de l’ampleur tant par son caractère grave que par son aspect incongru. Tout le monde parle des contrats signés par la ministre chargée de l’écologie pour l’importation de déchets italiens pour des cimenteries marocaines et ce à quelques mois de la tenue de la COP22 et venant juste après une brillante campagne dite « Zéro Mica ».
C’est à en perdre son latin ! L’affaire a commencé par l’annonce, d’abord incroyable, de l’accostage d’un cargo au Jorf Al Asfar chargé de deux mille cinq cent tonnes de déchets (2500).
Ce n’est pas l’expert ou le spécialiste qui s’étonne, mais le simple citoyen quand on sait que la combustion d’un simple sac de plastique dégage cette odeur âcre et suffocante. Que dire alors de tonnes de déchets ?
Il m’a fallu du temps pour réaliser que nous sommes en présence d’un scandale écologique surtout lorsque nous avons appris que les déchets venaient de Naples et que dans cette région italienne, c’est la mafia qui contrôle le marché des ordures.
Je me mis, alors à me poser des questions, peut être naïves, dont la première était: « Nous payaient-ils pour les débarrasser de leurs ordures ou c’est nous qui payons pour les avoir ? ».
Je me mis alors à m’informer, poussé non par la simple curiosité légitime devant un phénomène nouveau mais par cette sourde indignation que de voir mon pays, son sol et son atmosphère pollués sans vergogne pour une question d’économie de coût de production. La responsable de cette affaire nous annonça en termes rébarbatifs et étranges qu’il s’agit de ce qu’ils appellent les RDF (Refuse–derived fuel) qui est un combustible de substitution, une alternative aux combustibles fossiles.
Composés de plastique, de carton, de bois et de tissu, triés puis broyés, « ces déchets sont utilisés par les cimenteries du monde entier ». Dans ma tête de Marocain obstiné, je me disais que le plastique reste plastique même broyé et s’il est toxique entier, il restera toxique en poudre !
Il fallait creuser plus sur cette histoire de combustible utilisé dans le monde entier.
De plus en plus louche quand le président de l’AMEDE affirme: « C’est une polémique qui n’a pas de sens. La France, l’Espagne, le Portugal, l’Italie (…) utilisent les RDF. Ce sont des produits non dangereux et il y a une traçabilité de toute la chaîne », explique, de son côté, Mohamed Chaibi, président de l’Association professionnelle des cimentiers – par ailleurs PDG de Ciments du Maroc.
Surtout quand vous découvrez, d’une part que le site de l’Association marocaine des experts en gestion des déchets et en environnement ou AMEDE est bidon et qu’il n’y a aucun document qui puisse éclairer le visiteur. D’autre part, une courte recherche sur GOOGLE sur le président démontre qu’il est conseil auprès des cimenteries ! C’est dire l’intérêt qu’il a à défendre les cimenteries !
C’est à partir de ce moment que le doute s’installa avec insistance : Les trois parties chargées de nous rassurer étaient toutes du même camp, celui du « lobby » des cimentiers et qu’il s’agit là de gros sous !
Après ce côté médiatique, dirai-je, public, il y a le droit et la force de la loi. L’affaire repose sur deux documents : l’un international et l’autre national.
1 – La Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements trans-frontières des déchets dangereux et leur élimination avec un protocole sur la responsabilité et l’indemnisation en cas de dommages.
Sa lecture est édifiante et au lieu d’aller directement aux articles qui autorisent ces mouvements de déchets, je me suis concentré sur le préambule et là, il me fallait remonter jusqu’à la Déclaration de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement (Stockholm, 1972), des Lignes directrices et Principes du Caire concernant la gestion écologiquement rationnelle des déchets dangereux, adoptés par le Conseil d’administration du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) par sa décision 14/30 du 17 juin 1987, des recommandations du Comité d’experts des Nations Unies en matière de transport des marchandises dangereuses pour enfin comprendre que l’on ne parle que des précautions à prendre pour la destruction des déchets dangereux.
Avec la Convention de Bâle et ceux qui nous la sortent comme un blanc-seing pour faire ce qu’ils veulent, se trompent. Dans son préambule, elle insiste sur la souveraineté des Etats à décider en toute connaissance de cause si oui ou non l’utilisation des déchets est autorisée !
Il y a donc détournement d’une petite partie de la Convention pour faire en sorte qu’elle vienne conforter la loi marocaine, la Loi n° 28-00 relative à la gestion des déchets et à leur élimination !
Or, dès le premier article, la loi est claire :
La présente loi a pour objet de prévenir et de protéger la santé de l’homme, la faune, la flore, les eaux, l’air, le sol, les écosystèmes, les sites et paysages et L’environnement en général contre les effets nocifs des déchets.
Elle continue en définissant : Déchets, Déchets ménagers, Déchets assimilés aux déchets ménagers, Déchets industriels, Déchets médicaux et pharmaceutiques, Déchets dangereux, Déchets inertes, Déchets agricoles, Déchets ultimes, Déchets biodégradables.
Dans un cas comme celui qui nous préoccupe, ce n’est pas la société civile mais les responsables qui doivent démontrer que les déchets utilisés dans les cimenteries sont sains et exempts de tout danger pour la société pendant leur transport, leur dépôt, leur combustion et après leur combustion ! Le citoyen n’a rien à démontrer et si cela sert l’intérêt des cimenteries, cela ne doit, en aucun cas, porter préjudice à sa santé d’abord, à son sol, son air et son eau !
Leur combustion suffit-elle à les rendre sans danger pour la santé ? C’est là où certains nous ont sorti le cas des pays scandinaves qui arrivent, presque, à l’autosuffisance énergétique grâce à l’utilisation de ces déchets. Ils occultent le fait que leur industrie a mis en place diverses technologies d’épuration des gaz d’émanation (toxiques et cancérigènes) qui éliminent chez eux ce qui nous inquiète, chez nous ! Nos cimenteries ont- elles installé les mêmes technologies d’épuration des gaz que celles suédoises ?
Un rapide recherche montre bien que la combustion du plastique donne dioxygène →CO2 + H2O + divers gaz qui peuvent être toxiques. Le PVC, par exemple, donne du chlorure d’hydrogène (HCl), gaz carbonique (CO2), monoxyde de carbone (CO). Le PET, donne oléfines, acide benzoïque, CO, CO2 etc. Les produits qui s’échappent peuvent êtres nocifs à long terme et on peut s’amuser à énumérer les produits libérés à l’infini ! Juste à titre d’exemple : Le chlorure d’hydrogène forme de l’acide chlorhydrique au contact des tissus du corps. Son inhalation peut causer de la toux, la suffocation, l’inflammation des parois nasales, de la gorge et du système respiratoire. Dans les cas les plus graves, il peut entraîner un œdème pulmonaire, une défaillance du système cardiovasculaire et la mort. Il peut causer de graves brûlures des yeux, des irritations oculaires (conjonctivite, larmoiement) et des dommages oculaires irréversibles.
Il ne s’agit pas pour nous de refuser ou d’accepter cette pratique, il importe aux responsables de démontrer, fut-ce par un audit international, la véracité de leurs allégation et c’est ainsi que je suis arrivé à contacter GREENPEACE France qui m’a confirmé qu’elle a reçu plusieurs courriers sur cette affaire et qu’elle a besoin de plus d’informations et de temps pour donner son avis. Dans cette affaire, seule une tierce partie, indépendante et désintéressée peut soit nous confirmer qu’il y a danger et qu’il nous faudra nous mobiliser pour arrêter les dégâts, soit nous donner tort et que Dieu protège le pays !