Monde

Moulay Hicham tire à boulets rouges sur MBS

« Trump se mobilise pour sauver le prince héritier d’Arabie Saoudite », a indiqué au téléphone, depuis Boston où il réside, le prince Moulay Hicham dans les colonnes d’El Confidential, un journal numérique espagnol d’informations générales.

Le chercheur à l’Université de Harvard (54 ans) que l’on surnomme aussi, le « Prince rouge » et qui est lié par sa mère à la famille royale saoudienne s’en prend à MBS en ces termes: « la tension est énorme au sein de la famille royale saoudienne… Avec Mohamed ben Salman, l’Arabie saoudite est passée de l’autoritarisme à la tyrannie… Pour établir son autorité, le prince héritier choisira probablement une répression accrue…La tension était déjà forte dans la famille et, après Istanbul, elle a atteint son zénith ».

Moulay Hicham est l’un des rares membres de la famille royale saoudienne qui ose s’exprimer ainsi sur l’Arabie saoudite, un pays qu’il connaît bien. Il entretenait d’excellentes relations avec le roi Abdullah jusqu’à sa mort en 2015. Depuis l’avènement de Ben Salman et surtout de celui en juin 2017 de son fils Mohamed Ben Salman (32 ans) à l’héritage du trône saoudien, il est tombé quelque peu en disgrâce.

Moulay Hicham dit avoir déjà mis en garde, dans des articles de revues spécialisées, contre les dangers que représentaient les fanfaronades de MBS, et ce bien avant que des agents saoudiens n’aient tué et démembré, le journaliste dissident Jamal Khashoggi, dans le consulat d’Arabie saoudite à Istanbul le 2 octobre dernier.

« Ce qui s’est passé à Istanbul a révélé le vrai visage de la transition politique en Arabie saoudite », explique-t-il. « MBS manquait de soutien et pour asseoir son pouvoir, il a décidé d’instaurer la peur ».

« C’est la raison pour laquelle il a confiné à résidence un ancien prince héritier, Mohamed ben Nayef, et emprisonné à l’hôtel Ritz-Carlton de Riyad un groupe de princes comme le chef de la garde nationale ou Al-Walid Ben Talal (cousin de Moulay Hicham), l’homme le plus riche en Arabie Saoudite, » a-t-il notamment souligné.

« MBS a changé le modèle consensuel de relations jusque-là, de circonstances dans le giron protocolaire de la grande famille royale sans proposer d’alternative », a poursuivi Moulay Hicham. « Les Al Saoud sont environ 15.000 et environ 2000 seulement avaient un poids politique et économique, mais ce système a été annihilé à la nomination du nouveau prince héritier ».

« Le royaume d’Arabie saoudite connaît sa plus grande crise depuis un certain 11 septembre et les attaques contre les tours jumelles et le Pentagone perpétrées en 2001 par des terroristes saoudiens. Il y a une tension parce que MBS a transgressé toutes les règles et les traditions qui ont prévalu aux plus hauts échelons du pouvoir », selon le prince.

« Il a déclenché une crise avec le Qatar, enfermé ceux qu’il considérait comme des ennemis et maintenant le royaume est accusé d’un crime odieux consistant à démembrer le corps d’un citoyen pacifique, ce qui est contraire aux préceptes islamiques et aux traditions saoudiennes », a-t-il encore déclaré. « Le pays est horrifié et la peur s’est répandue davantage ».

Le meurtre « ne pourrait être perpétré sans le feu vert de ceux qui se trouvent au sommet » à Riyad. « Pour mettre fin aux jours de Jamal Khashoggi, un grand appareil logistique a été déployé à Istanbul et n’aurait pas pu être sans l’approbation de la puissance royale ou du moins de ceux qui la gèrent », a-t-il avancé.

Pour tenter de déguiser leur responsabilité, « ils ont ensuite ordonné d’arrêter les exécuteurs du meurtre ». « Maintenant, ils ont à décider si ces agents doivent être jugés et exécutés (l’Arabie saoudite étant l’un des pays qui appliquent le plus la peine de mort) ou s’ils vont être discrètement libérés. MBS a agi ainsi, car « il croyait avoir reçu un chèque en blanc de l’administration Donald Trump ».

Analysant MBS sous toutes ses coutures, il a poursuivi en étayant cette analyse de l’alliance de ce dernier avec la Maison-Blanche: « Et il a eu le courage de déclencher une crise avec le Qatar sans réaction de Washington, de poursuivre la guerre au Yémen, de verrouiller ses ennemis, etc. ». C’est parce qu’aux yeux de l’Oncle Sam, le prince héritier était le meilleur contrepoids à l’Iran, le grand ennemi des États-Unis.

Malheureusement, déplore-t-il, maintenant que MBS est en difficulté, Trump « s’est mobilisé pour tenter de le sauver. » En dépit de cette main tendue, Moulay Hicham estime que MBS restera « fragile », car il ne pourra pas avoir la même capacité de leadership régional. La coalition anti-Iran et anti-Qatar initiée par le prince héritier saoudien avec l’Égypte, les Émirats arabes unis et Bahreïn « est déjà déstabilisée », a-t-il déclaré. « Les élections américaines de mi-mandat, qui se tiendront en novembre, si elles aboutissent à une majorité démocrate augmenteront la pression sur les dirigeants saoudiens ».

Dans une autre analyse dans ce tour d’horizon, Moulay Hicham, réserve une réflexion à Recep Tayyip Erdogan. Le président turc, croit-il savoir, « en informant la presse sur le meurtre sans en révéler pour autant tous les contours, veut affaiblir MBS, mais sans volonté de peser sur la monarchie saoudienne ». « Les Turcs ont des comptes à régler avec l’Arabie saoudite. La Turquie leur en veut d’avoir encouragé, la persécution des Frères musulmans en Égypte », avec laquelle le parti d’Erdogan entretenait des relations étroites. « Son objectif est maintenant de tirer parti de l’atrocité perpétrée dans le consulat pour casser l’islam saoudien (wahabisme) et élargir le sien, le Turc. »

In fine, pense Moulay Hicham, l’hypothèse la plus probable pour MBS d’empêcher son pouvoir de continuer à craquer c’est:  » d’augmenter la répression ».

Cependant d’après lui, il est une autre supposition, qui à l’évidence a peu de chances de se réaliser: « Peut-être que le roi Salman, qui n’avait pas besoin de cette affaire Khashoggi, tenterait de fomenter des contre-pouvoirs à l’enfant terrible et héritier du trône saoudien » qu’il a désigné il y a seulement 16 mois. « Ce sera très difficile, car le reste de la famille royale n’a plus d’outil coercitif, l’armée et des appareils d’Etat lourds sont sous la main mise de MBS « , conclut-il.

Mohamed Jaouad Kanabi


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