Les détenus du Hirak, la lettre de Nasser Zefzafi, la dernière affaire du CNDH… L’avocat, universitaire et acteur politique Omar Bendjelloun, analyse sans détour la problématique « Al-Hoceima ». Entretien.
Le Site info: Nabila Mounib a déclaré que l’Etat est responsable du Hirak. Partagez-vous son opinion et que faut-il comprendre par « l’Etat » ?
Omar Bendjelloun : Considérant que je ne commente pas les déclarations des acteurs de la société civile mais la jurisprudence ou les communiqués institutionnels, je répondrai à la question de savoir si «l’Etat est responsable du Hirak». La réponse est oui. La mort de Mohcine Fikri est liée aux représentants locaux de l’Etat, élus et fonctionnaires. L’enchère violente c’est l’Etat, d’abord par le communiqué conjoint des partis politiques participant au gouvernement qui excommunie les activistes, ensuite par le déploiement massif, tous corps confondus, pour disperser les manifestants au lieu de les encadrer, et enfin par les arrestations massives au lieu de tenir des procès contradictoires en liberté. Aujourd’hui, ce même État annonce des indicateurs de relâchement, de réforme, de responsabilité, pour sortir de la crise rifaine. Cette hybridité au sein de l’Etat, qui se manifeste aussi par la polémique entre la DGSN et le CNDH sur l’existence ou non de cas de torture, a désormais atteint ses limites avec le dossier rifain.
Le Site info : Quelle est votre position concernant les détenus du Hirak, Zefzafi and co ?
Omar Bendjelloun : Les détenus doivent immédiatement être libérés. Ce sont des manifestants pacifiques qui demandent justice sociale et dignité, réclament le développement régional et la redistribution des richesses. Considérer cela comme atteinte à la «sécurité de l’Etat» inquiète l’esprit politique qui voit en l’Etat ce bloc institutionnel stable et imperturbable. Faire d’une jeune manifestante, chanteuse de 23 ans, une «Ulrike Meinhof», ou d’un jeune charismatique comme Nasser Zefzafi un élément subversif, aller jusqu’à leur isolement en prison préventive, est sérieusement inquiétant.
Le Site info : Quel regard portez-vous sur la gestion de cette affaire du Hirak ?
Omar Bendjelloun : Encore une fois, l’approche est marquée par ce qu’on pourrait appeler une hybridité institutionnelle. D’un côté les tentatives de dialogues, les excuses du chef du gouvernement pour les violences, l’accompagnement du CNDH pour veiller au respect des droits de l’homme, l’intervention du Roi pour l’exécution des projets de développement, la reddition des comptes ou le retrait des corps d’interventions. De l’autre côté, des arrestations massives, des poursuites en détention provisoire, des vidéos de razzia terrorisant les populations à leur domicile à l’aurore ou même «un droit de suite» jusqu’au fond des mers où nous avons vu des forces d’intervention avec leur matériel lourd rentrer en mer suivre les manifestants, une image qui a décrédibilisé l’emploi de l’autorité aux yeux de l’opinion publique nationale et internationale. Il n’y pas de chemin entre l’autoritarisme et la démocratie.
Le Site info : Pensez-vous que le gouvernement est sur la bonne voie ?
Omar Bendjelloun : Malgré la faible personnalité du chef de gouvernement et ses quelques preuves d’honnêteté de conjoncture qui tentent de transmettre à demi- mot son irresponsabilité quant au cours des événements, ce gouvernement et son prédécesseur sont une partie du problème et non de la solution.
Le Site info : Que pensez-vous du fait que le Roi donne ses directives ?
Omar Bendjelloun : Je pense que le Roi ne mérite pas cette avalanche politique. Depuis son intronisation, pour cette région, des tentatives de réconciliation territoriale par la reconnaissance culturelle et les infrastructures portuaires et routières ont été privilégiées. Toutefois, le systémique institutionnel, à savoir le fonctionnement efficient entre pouvoirs, partis, acteurs civils et économiques, qui se doivent d’être en harmonie pour faire triompher la monarchie parlementaire comme garante d’une régulation démocratique de l’Etat et de la richesse du pays, aujourd’hui fait défaut, quand bien même la constitution de 2011 est venue l’annoncer. Le peuple attend l’intervention du Roi qui le fait avec responsabilité, prouvant que les courroies intermédiaires entre les deux âmes du contrat social marocain sont désormais inexistantes.
Le Site info : Que dire de la lettre de Zefzafi au Rif ?
Omar Bendjelloun : Cette lettre est forte. Elle nous rappelle les littératures carcérales des années de plomb. Elle prouve l’esprit de son auteur, un militant fier aux références patriotiques de ses compagnons, au caractère pacifique de la lutte, au discours humble et au ton émouvant. Ce sont de vrais patriotes qui par leur dévouement naturel et culturel empêchent toute accusation du contraire. Vraiment.
Propos recueillis par Hicham Bennani