Maroc

Le FLAM 2025 : un voyage littéraire au cœur de l’Afrique

Au Centre culturel Les Étoiles de Jamaâ El Fna, la troisième édition du Festival du livre africain de Marrakech (FLAM) s’est tenue du 30 janvier au 2 février.

Placé sous la présidence d’honneur du prix Nobel de littérature, Jean-Marie Gustave Le Clézio, le FLAM a tenu ses promesses.

Parmi les nombreux invités accueillis, on a pu compter Christiane Taubira et Najat Vallaud Belkacem, anciennes ministres françaises venues de Guyane et du Maroc, Aminata Traoré, ancienne ministre malienne, ou Rokhaya Diallo, Sénégalaise qui écrit notamment pour «The Washington Post», «The Guardian» et Al Jazeera. Autre figure de marque, Ananda Devi, de l’île Maurice, a donné la leçon inaugurale.

«Créer pour se recréer»
Chaque jour, tables rondes et cafés littéraires ont enchanté et donné à réfléchir à un public fidèle, malgré le froid. Les thèmes abordés étaient en phase avec l’actualité, selon le vœu des organisateurs Mahi Binebine, Fatimata Wane, Hanane Essaydi et Younès Ajarraï. La première table ronde s’intitulait «Quand l’imaginaire féminin redessine le monde». Najat Vallaud Belkacem et Christiane Taubira ont notamment échangé sur leurs expériences respectives de l’exercice de responsabilités politiques, à Paris.

Au premier désaccord, leurs adversaires les renvoyaient presque toujours à leur seule qualité de femmes, et très rarement à leur réflexion ou à leur engagement. Pour le philosophe marocain Ali Benmakhlouf, «la grande figure marocaine Aïcha Echanna a reconfiguré le monde des femmes et les relations avec les femmes délaissées, avec les mères célibataires qui ont été tout simplement mises au ban de la société. Elle leur a redonné leur dignité, leur «karama». Elle a su imaginer comment ces enfants allaient grandir».

L’après-midi, un café littéraire était consacré à «Créer pour se recréer». Dorcy Rugamba a écrit un livre sur ses parents disparus. Lui avait pu fuir le Rwanda. C’est en y retournant, deux ans plus tard, qu’il a commencé à prendre des notes. Mais «c’est longtemps après, une génération plus tard, 30 ans plus tard que j’ai réalisé que le génocide s’attaquait non seulement aux individus, à leur corps, à leur vie, mais mettait aussi en jeu une autre mort, encore plus terrible», expliquait-il.

Il a continué : «Ce qui caractérise l’anéantissement est que 30 ans après un génocide, les victimes n’existent plus, dans l’esprit des vivants, que comme des suppliciés. Ce qu’ils avaient été avant n’existe plus : ce qu’ils ont fait, quel était leur idéal, leurs rêves, leurs ambitions, leur culture, leur héritage…

Dans beaucoup de récits, on ne les voit que dans les instants atroces de leur départ. Ce qui, à mon avis, place l’assassin au centre du récit. Aussi, ce livre était pour moi une manière de refuser ce mariage forcé entre l’assassin et sa victime et de permettre à la victime de s’appartenir».

Rugamba écrit donc pour répondre à la nécessité de faire un récit qui ne cherche pas le côté sensationnel, spectaculaire ou graphique d’un événement comme un génocide, mais qui soit un hymne à la vie. «Je m’adresse aux absents à travers mes deux parents et mes six frères et sœurs, je m’adresse à tous les absents, en fait.»

Les bibliothèques qui «inventent l’Afrique»

Le lendemain, «Une histoire africaine du monde, une histoire mondiale de l’Afrique» était souhaitée par Mamadou Diouf, Felwine Sarr et Valérie Marin La Meslée. Mamadou Diouf est professeur d’Études africaines et d’histoire à l’université Columbia de New York, aux États-Unis.

Il a évoqué «les différentes bibliothèques qui inventent l’Afrique — pour parler comme Valentin-Yves Mudimbe». Dans la plupart des cas les Africains ne participent pas à cette invention.

Résumant le propos, Diouf en a fait une brève énumération : «Il y a ce que l’on pourrait appeler la bibliothèque ancienne, la bibliothèque grecque et latine. Elle est assez intéressante, parce que la manière dont présente l’Afrique dans le monde c’est à la fois l’Afrique comme origine de l’humanité, mais aussi comme origine de la civilisation. L’Égypte y est bien sûr éthiopienne, donc africaine».

Vient ensuite «celle que l’on pourrait appeler la bibliothèque arabe islamique, qui dit l’Afrique comme le Bilad al-Soudan, le pays des noirs. Il y a aussi un travail de réinvention, dans cette perspective». Une autre bibliothèque, la plus connue, est la bibliothèque coloniale «que Mudimbe appelle aussi l’odeur du père. Cette odeur est celle de l’Occident et elle a envahi le continent. Les Africains n’arrivent pas à prendre leurs distances vis-à-vis de cette bibliothèque coloniale.»

Enfin, pour Diouf, «il y en a une dernière, importante, qui est la bibliothèque afro-américaine.» Elle est «celle qui permet le mieux de comprendre l’Afrique». La question restant à résoudre étant celle de savoir où en sont les Africains dans le travail de «dire l’Afrique», et quelles bibliothèques ils vont, éventuellement, utiliser.

Lors du café littéraire sur «L’écriture des liens», Rachid Benzine, dont cinq romans sont réunis en coffret par les éditions Le Fennec ce mois-ci, a précisé que la «question du lien est ce qui permet, globalement, de se construire une identité. Mais une identité est toujours une fiction que l’on se raconte. Elle doit être au service de l’action. Il y a donc toujours des variations imaginatives où l’on peut raconter les choses autrement».

S’il s’est d’abord intéressé aux silences familiaux, intimes, il souligne qu’il y a des silences politiques. Mais «la multiplicité des récits fait qu’à un moment on arrive à créer globalement un récit commun». Il ne peut pas penser la question de l’émancipation sans l’attachement, continue-t-il : «Je ne peux pas penser la question de l’autonomie sans considérer d’abord que nous sommes endettés vis-à-vis de ceux qui nous précèdent. Et c’est une dette de sens qu’il faut être capable d’honorer».

Le 1er février, «La pensée de Frantz Fanon à l’épreuve du temps» était mise à l’honneur par Abdourahman Waberi, Felwine Sarr, Rokhaya Diallo et Rodney Saint-Eloi.

Créatrices libres et primées par les lycéens
Le dimanche a vu un café littéraire très animé : «Panorama de la littérature marocaine : créatrices et libres». Myriam Jebbor, Karima Moual, Mhani Alaoui, Fedwa Misk et Rim Battal n’ont pas mâché leurs mots. Fedwa Misk vient de publier un roman graphique sur l’avortement, tandis que le roman «The House on Butterfly Street» (éd. La Croisée des chemins, en anglais) de Mhani Alaoui explore les conséquences de la législation marocaine. «C’est l’histoire de ce qui arrive quand on empêche une femme d’avorter.

Car à la naissance de l’enfant, lui et sa mère sont pratiquement seuls, mis à part quelques associations qui se dévouent. C’est une double peine.» Vint enfin la remise du Prix littéraire des lycéens de Marrakech-FLAM.

Il a été décerné à l’autrice Myriam Jebbor pour son dernier roman «La Trahison» (éd. Le Fennec), qui relate une relation mère-fille dans ses complexités, et les conséquences de l’absolutisme d’une enfant de 11 ans (voir Les Inspirations ÉCO du 2 septembre 2024).

Deux cent quarante élèves ont participé à ce projet. Ils ont eux-mêmes sélectionné une shortlist de six livres marocains publiés par des éditeurs marocains. Après avoir lu chacun de ces six livres, ils ont rendu leur verdict, occupant la scène avec l’heureuse lauréate, en manière de cérémonie de clôture. L’ensemble des participants et le public se sont joyeusement donné rendez-vous pour la prochaine édition.

Murtada Calamy


whatsapp Recevez les dernières actualités sur votre WhatsApp
CAN 2025: le meilleur et le pire tirage pour le Maroc











Rejoignez LeSiteinfo.com et recevez nos newsletters



Bouton retour en haut de la page