« Il me plaît, je lui plais ! » Pour Souad, le choix du mouton de l’Aïd Al Adha relève de l’évidence, et c’est d’abord une question de feeling. Cette conseillère d’orientation résidant à Rabat n’a pas encore son « mabourk », mais dès qu’elle tombe nez-à-nez avec celui-ci elle le saura, elle en est convaincue.
A une semaine de la fête du Sacrifice, les marchés des ovins sont en effet en pleine ébullition dans la capitale, comme c’est le cas dans les différentes régions du Maroc.
Ces marchés, dont cinq pilotes installés spécialement pour l’occasion au niveau de la région de Rabat-Salé-Kénitra en plus des souks hebdomadaires, et promis à une cadence quotidienne durant les derniers jours avant l’Aïd, sont pris d’assaut. Autant par des visiteurs curieux de la tendance des prix que par ceux en quête de repérage, ou encore ceux qui n’hésitent pas à conclure la transaction.
Souad n’appartient à aucune de ces catégories. Son profil correspond plutôt à cette minorité de 24% des ménages qui acquerraient leurs animaux destinés au sacrifice tardivement, soit un ou deux jours avant la fête, à en croire une étude de terrain conduite par le ministère de l’Agriculture, portant sur l’Aïd Al-Adha de l’année précédente. Selon l’étude, 49% des ménages se procurent leurs bêtes entre 3 et 7 jours avant, tandis que 27% les achètent plus d’une semaine à l’avance.
Assumant parfaitement ce choix, c’est sans le moindre stress que Souad aborde les préparatifs de l’Aïd qu’elle entend célébrer, comme chaque année, en famille à Meknès, loin de la capitale. Elle a convaincu son mari de différer l’achat de leur ovin jusqu’aux derniers jours de manière à ce qu’elle puisse le faire elle-même une fois sur place. Quitte à payer plus cher… « mais peu importe, c’est le choix du cœur », confie-t-elle à la MAP, toute sourire, avant d’enchaîner « dans la limite du raisonnable bien sûr ! ».
La limite du raisonnable à ses yeux ne doit pas dépasser le budget Aïd Al Adha d’un fonctionnaire, qu’elle situe entre 1.500 et 4.000 dirhams.
Sardi, race préférée pour le sacrifice
C’est bien dans cette fourchette que le très exigeant Mustapha, un autre cadre de l’éducation nationale, affirme avoir pu trouver son Sardi, sa race préférée pour le sacrifice et la plus sollicitée sur le marché avec des prix pouvant atteindre jusqu’à 7.000 DH, voire plus.
A 3.600 DH, celui qui a carte blanche de son épouse pour effectuer « la transaction de l’année », estime avoir fait une bonne affaire. Comme l’année dernière, il a réservé son mouton, un Eth-Thanniy (âgé entre un et deux ans), dans une ferme à Sidi Allal El Bahraoui, dans la périphérie de Rabat. C’est là où il le gardera jusqu’à la livraison, prévue deux jours avant l’Aïd (pour éviter le pic de trafic de la veille).
Pour s’offrir un tel service, Mustapha doit encore débourser 200 DH de plus au titre des frais d’alimentation (il faut compter 10-15 DH par nuit). Faute d’espace suffisant à domicile, certains ménages optent pour des solutions similaires dites « foundok al kharouf », des garages dédiés à l’accueil des bêtes de sacrifice.
A la ferme, Mustapha a dû déambuler pas moins d’une heure et demi avant de dénicher la perle rare parmi les dizaines d’ovins présentés en vente pour l’Aïd. Soucieux d’éviter « l’erreur » de l’année dernière, il s’est pris assez en avance – pas moins d’un mois – pour avoir plus de choix en termes d’offre.
Ses critères ? La qualité de la viande est primordiale. « Il faut qu’elle soit tendre, en quantité suffisante et avec faible teneur en gras, ce qui dépend de l’âge de la bête », explique-t-il. Pour s’en assurer, il prend tout son temps, avec des mains expertes, à examiner le mouton, à peser son poids, à vérifier ses dents, à le soulever et le tourner dans tous les sens.
D’après la Direction régionale de l’Agriculture de Rabat-Salé-Kénitra, les prix varient selon la race, le sexe, la qualité de l’engraissement, l’origine de l’animal ainsi que le lieu de vente, et selon l’offre et la demande. Face à une offre diversifiée, les acheteurs peuvent adapter leurs pouvoirs d’achat.
Connu pour « sa beauté sur le plan phénotypique », le Sardi demeure la race la plus chère de l’offre ovine disponible, qui comprend aussi les races de Timahdit, D’man, le Beni Guil et Bejaad, explique dans une déclaration à la MAP Dr Fatima Saghir, médecin vétérinaire et chef du service de communication à la Direction régionale de l’agriculture de Rabat-Salé-Kénitra.
Importer pour minimiser les prix exorbitants
Tout en rassurant sur l’abondance de l’offre au niveau de la région, avec plus de 750.000 têtes d’ovins et de caprins destinés à l’abattage, avec l’objectif de « 800.000 têtes à sacrifier » avant la fête, Dr Saghir précise qu’en plus des 650.000 identifiées par l’Office national de sécurité sanitaire des produits alimentaires (ONSSA), 100.000 têtes ont été importées « pour renforcer l’offre de sorte à équilibrer les prix et, partant, permettre l’accès de tous » aux animaux de sacrifice.
Youssef et son associé Abelali ont bien voulu adhérer à cet effort en important pour la première fois des races croisées d’Espagne.
Mise en vente entre 1.700 et 2.200 DH dans l’exploitation familiale à Aïn Johra, relevant de la commune de Tiflet (province de Khémisset), leur offre, se félicitent-ils, connaît un fort engouement auprès de la population locale, notamment des ménages à revenus modestes, encouragés par le « bon rapport qualité-prix ».
Sur les 3.500 têtes importées le mois dernier, il ne reste plus que mille, révèlent les deux associés qui s’attendent à tout écouler avant l’Aïd, tant la demande est forte, portée par la magie du bouche-à-oreille.
Ils tablent sur cette nouvelle offre pour élargir la clientèle de la ferme qui misait jusqu’ici principalement sur le Sardi, coqueluche des ventes, aux côtés d’autres races telles que le Bergui et le croisé, qui ont subi « une hausse des prix sur fond de sécheresse ». A une semaine de l’Aïd, les 220 ovins disponibles de cette catégorie se vendaient dans leurs locaux entre 2.300 et 6.000 DH.
Fidèles clients de la ferme, hajja Kahdija et Rachid ont négocié leurs Sardi, respectivement à 4.000 et 5.000 DH, a-t-on constaté sur place. Ravi de son achat, Rachid fait état néanmoins d’une hausse de 500 DH par rapport à l’année dernière.
Comme Mustapha, ils récupéreront leurs moutons les derniers jours avant l’Aïd, ceux-ci étant numérotés et identifiés chacun par une boucle d’oreille, « gage de bonne santé et de traçabilité » pour les citoyens, conformément à la réglementation en vigueur.
Critère religieux
Au-delà du prix, la dimension religieuse de la fête est un critère non moins important qui influence le choix des acheteurs.
Guidé par la tradition du prophète Sidna Mohammed, Mustapha essaye toujours de se rapprocher autant que possible du modèle du mouton cornu et exempt de toute maladie ou malformation.
En attendant l’arrivée du fameux mouton cornu, dont l’image est déjà validée par les siens, le quadragénaire souligne que l’excitation est à son apogée à la maison où tout le monde, dit-il, est mis à contribution. L’aide familiale est sollicitée notamment pour l’aménagement des espaces d’accueil et d’abattage. Sans oublier la préparation de couteaux et autres ustensiles utilisés dans cette opération que le chef de famille tient à réaliser par ses soins, conformément à la Sunna.
A l’instar d’une grande majorité de Marocains, Mustapha est attaché à la célébration en famille de l’Aïd Al Adha qui permet de resserrer les liens familiaux et de se rapprocher de Dieu, en perpétuant les valeurs de solidarité et de partage caractérisant cette fête.
Nombreux sont cependant ceux qui, comme lui, regrettent la tendance actuelle de certaines familles à renoncer à cette tradition au risque de rompre le processus de transmission aux générations futures.
Sans y renoncer totalement, Farid, un entrepreneur à la cinquantaine, est de ceux qui ont pris l’habitude, depuis quelques années, de profiter avec leurs familles des offres hôtelières Spécial Aïd Al Adha, avec au menu les incontournables mets traditionnels et barbecues associés à cette occasion, dans une ambiance festive et attractive. C’est sa façon de joindre l’utile à l’agréable. Une solution de facilité, diront les détracteurs de la modernisation de la fête musulmane sacrée, taxant ses adeptes de vouloir en altérer l’esprit solidaire et convivial, en privilégiant le confort pour éviter une soi-disant corvée qui n’enlève, pourtant, rien au charme de la célébration de l’Aïd Al Adha.
S.L.