Maroc

Lire, un plaisir perdu pour les Marocains

Par LeSiteinfo avec MAP

« La lecture agrandit l’âme, et un ami éclairé la console ». Quoi de plus éloquent que cette citation de Voltaire pour synthétiser les bienfaits que la lecture peut prodiguer à nombre d’entre ceux ayant toujours un livre entre les mains ou .. à portée de clic !

Dans un monde ultra-connecté justement et alors que le livre papier cède du terrain, l’impact des médias sociaux sur la lecture, en particulier chez la génération Z dite aussi « digital natives », suscite débats et réflexions. Il n’est pas rare en effet de voir une personne scroller les réseaux sociaux à longueur de journée. Mais, plutôt que de stigmatiser les écrans, ne serait-il pas pertinent d’explorer judicieusement ces plateformes pour nourrir l’appétence des jeunes pour la lecture ?

C’est l’avis de l’anthropologue et écrivain Mohamed El Maazouz, membre du Conseil supérieur de la communication audiovisuelle: « les médias sociaux peuvent transformer la lecture en une expérience partagée et interactive ».

Pour étayer ce propos, il évoque les book clubs en ligne sur des plateformes comme Facebook ou Reddit qui permettent aux lecteurs de partager leurs impressions avec d’autres, nonobstant les distances physiques, ou encore les initiatives comme BookTok (sous-communauté de TikTok centrée sur la littérature) pour célébrer le livre. Car, au final, une œuvre se dissèque, s’analyse et se discute !

Autre exemple avancé : grâce à des hashtags tels que #Bookstagram et #BooksTwitter, les amateurs de livres peuvent partager des critiques, des extraits et des recommandations, créant ainsi une communauté virtuelle de lecteurs. La lecture profonde s’atrophie

Alors que les technologies favorisent l’accès à un flot ininterrompu de contenus, l’expérience de lecture profonde s’atrophie sous l’influence des écrans, le lecteur étant enclin à aller aussi vite que possible, à lire en diagonale, glissant ou faisant défiler le contenu scriptural toujours dans le même sens. Quid de la sensibilité ou de l’esprit de l’auteur ?

« La lecture en ligne, souvent interrompue par des notifications et autres distractions, peut empêcher l’immersion totale dans un livre », souligne M. El Maazouz dans une interview à la MAP.

« La tendance à une action multitâche constante, encouragée par les réseaux sociaux, peut également limiter la capacité de plonger dans des textes longs et complexes », poursuit-il.

Un constat que partage Mostapha Laouzi, président de l’association « Amis de la sociologie », membre de l’Association internationale de sociologie. « La lecture sur supports numériques ne favorise pas l’appropriation de l’essence du livre par le lecteur qui risque d’être distrait par les messages reçus sur l’appareil », soutient-il.

Néanmoins, Audible, Kindle et bien d’autres plateformes démontrent que le rapport au numérique peut, grâce à l’expérience de lecture multimodale qu’elles offrent, enrichir la lecture en proposant des fonctions de synchronisation entre e-books et livres audio. Une manière qui, d’après M. El Maazouz, « peut maintenir l’engagement du lecteur ».

Lecture n’est plus synonyme de plaisir

D’aucuns soutiennent que les jeunes lisent toujours, mais lisent moins pour le plaisir. Il ne s’agit peut-être pas d’une lecture dite « légitime » au sens où l’entend le sociologue français Pierre Bourdieu, mais la pratique en elle-même continue d’exister parmi la génération Z.

Lire ne semble plus concerner uniquement la lecture de littérature classique, mais le déchiffrage de tout texte dont il est possible de tirer du sens.

Aux yeux de M. Laouzi, « un livre papier est un plaisir singulier, plein d’émotions, mais encore faut-il choisir le bon ». Ce chercheur, investi dans la création de plusieurs clubs de lecture au Maroc, stigmatise la médiocrité ambiante portée par la déferlante des médias sociaux, qui font souvent la part belle à des livres dépourvus de toute profondeur.

Ce serait une lapalissade d’affirmer que les jeunes, aujourd’hui, préfèrent de loin le visuel aux lignes des pages de livres et à l’odeur de l’encre. « Par exemple, si vous publiez un article de blog qui soulève une question importante, vous aurez 20 ou 30 réactions, contre plus d’une centaine si vous publiez une photo », avance-t-il.

Le numérique a aussi changé la façon de lire : les séquences de lecture des jeunes sont plus courtes, souvent en rapport avec leurs échanges écrits sur Internet, et donc très liées à la sociabilité.

Or, lire un livre est, par définition, une activité solitaire, longue, fastidieuse et propice à une réflexion profonde.

La lecture, finalement, c’est comme le vélo…

La lecture, tel le vélo, ne s’oublie pas. Une fois acquise, elle devient une pratique intrinsèque à l’individu, surtout si l’immersion se fait dès la tendre enfance.

Afin de créer le déclic justement, M. Laouzi insiste sur le choix du livre, surtout lorsqu’il s’agit de cette première immersion. Les romans stimulent généralement la mémoire et l’imagination et rendent la lecture agréable pour le lecteur novice.

Il recommande un aréopage d’auteurs de différentes écoles littéraires, tels que Gabriel Garcia Marquez, Najib Mahfouz, Tayeb Salih, Mohamed Zafzaf, Patrick Modiano, Ernest Hemingway et Mikhaïl Boulgakov.

Pour cultiver cette passion de la lecture, il faut « lire partout, tout le temps », soutient-il. « Qu’importe pour un homme de lire dans le bruit, l’acte de lire lui-même l’isole. Son âme s’évade vers d’autres cieux, s’enrichit, s’agrandit.. »

S’il est vrai que chaque clic est une opportunité de plonger dans l’univers infini des mots, la richesse du livre reste inégalée. Et si, dans ce raz-de-marée numérique, la jeunesse trouverait un jour le fil d’une histoire qui la reconnecte à l’essence même de la lecture?


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