Mariage: le Code de la famille fait toujours débat au Maroc
Le ministre de la Justice vient d’être interpellé au Parlement sur l’éventuelle ouverture d’un nouveau délai pour faire reconnaître les mariages non contractés par acte légal. Ce n’est pas la première fois que le sujet est évoqué au Parlement. Mohamed Benabdelkader affiche un niet catégorique.
Deux ans après l’expiration du délai accordé par l’État pour faire reconnaître les mariages coutumiers ou ceux conclus par la Fatiha, le gouvernement compte-t-il réactiver l’article 16 du Code de la famille ? Cet article, tout en stipulant que le document de l’acte de mariage constitue la seule preuve valable du mariage, permet, pendant une période transitoire, la reconnaissance du mariage en recourant au tribunal «si des raisons impérieuses ont empêché l’établissement du document de l’acte de mariage en temps opportun». Cette mesure transitoire a duré une quinzaine d’années et visait à sauvegarder les droits conjugaux des femmes engagées dans ces unions et également les enfants issus de ces mariages non établis par acte légal. Le Code de la famille a fixé un délai de cinq ans à compter de l’entrée en vigueur du texte, soit de 2004 à 2009.
Ce délai a été prolongé deux fois, de 2009 à 2014, puis de 2014 à 2019. Aujourd’hui, le débat est tranché selon le ministre de la Justice, Mohamed Benabdelkader, qui a été interpellé par le groupe parlementaire du PJD à la Chambre basse sur ce sujet : le gouvernement ne compte pas ouvrir de nouveau délai pour régulariser les mariages conclus par la Fatiha. Dans la pratique, il s’est avéré que cet article a été utilisé pour élargir les champs d’application des mariages des mineures et de la polygamie. Plusieurs personnes ont usé de ses dispositions à mauvais escient en vue d’éviter la procédure normale prévue dans les articles 20 (mariage du mineur) et 42 (polygamie) du Code de la famille. Selon le ministre de la Justice, quand la demande initiale de contracter un mariage avec une mineure ou de pratiquer la polygamie était rejetée par le tribunal, il suffisait d’organiser un mariage par la Fatiha et d’enclencher, après la grossesse, le processus de reconnaissance du mariage. Le tribunal était ainsi mis devant le fait accompli.
L’article 16 dispose en effet que «le tribunal prend en considération, lorsqu’il connaît d’une action en reconnaissance de mariage, l’existence d’enfants ou de grossesse issus de la relation conjugale et si l’action a été introduite du vivant des deux époux». Mais cette porte est fermée depuis février 2019. La reconnaissance du mariage est, certes, importante pour la cohésion et la stabilité de la famille, mais il n’en demeure pas moins que la protection des droits des femmes et des mineurs s’avère de la plus haute importance, selon Benabdelkader.
Les députés estiment qu’après une période transitoire de 15 ans, une évaluation objective de cette expérience s’impose. L’article 16 devait initialement permettre de régulariser certains cas particuliers, comme les mariages contractés à l’étranger dans des régions éloignées des services consulaires du Maroc ou encore les unions conclues par le passé et qui n’ont pas été enregistrées. L’évaluation, selon les parlementaires, devra être basée sur des statistiques détaillées en vue de redresser les dysfonctionnements juridiques qui permettaient de contourner la loi. Les fondements de l’article 16 demeurent valables, d’après le groupe du PJD, car le mariage par la Fatiha est toujours en vigueur dans plusieurs régions du Maroc «où la force de la coutume dépasse celle de la loi». À cela, s’ajoutent de nombreux cas de Marocains résidant à l’étranger qui attendent l’ouverture d’un nouveau délai de reconnaissance de mariage. L’Exécutif est appelé à réexaminer ce dossier afin de lui apporter un traitement global. Rappelons que le président de la Commission de la justice et de la législation à la Chambre des représentants, Toufik Mimouni (PAM), a récemment plaidé pour l’élaboration d’une proposition de loi portant sur l’article 16 en vue de régulariser certains cas de mariage non contractés par acte légal. Il suffit, selon lui, de trouver une formule pour verrouiller le dispositif et aux personnes qui n’ont pas pu enregistrer leur mariage de pouvoir se rattraper.
Une réforme globale s’impose
17 ans après son entrée en vigueur, le Code de la famille nécessite d’être revu en profondeur pour combler les lacunes, redresser les dysfonctionnements constatés et mettre fin aux exceptions, comme celle du mariage des mineures. La réforme devra faire prévaloir le principe de la parité prôné par la loi fondamentale. Un principe qui n’est pas consacré par plusieurs dispositions du Code de la famille, comme celle relative à la tutelle légale sur les enfants, qui nécessite d’être révisée pour consacrer la notion d’autorité parentale partagée. L’amendement du Code de la famille devra porter aussi sur la suppression de la déchéance du droit de garde de la mère en cas de remariage. La révision devra également toucher d’autres points «sensibles», dont la législation successorale qui demeure en suspens en dépit des recommandations du Conseil national des droits de l’Homme, ou la polygamie dont l’interdiction est une requête de longue date des défenseurs des droits de l’Homme. En cette fin de législature, tout porte à croire que cette révision ne sera pas entamée au cours de ce mandat.
Jihane Gattioui / avec Les Inspirations Éco