Les désillusions d’un artiste palestinien
Originaire de la bande de Gaza, le photographe et vidéaste Taysir Batniji est à l’honneur des Rencontres photographiques d’Arles, dans le Sud de la France. À travers une série de vidéos, de photos et de dessins, il témoigne de l’impasse dans laquelle se trouvent les territoires occupés par l’armée israélienne.
Par Olivier Rachet
Taysir Batniji est né à Gaza, en 1966 ; un an avant la guerre de 67 et l’occupation israélienne. Depuis 2006, il est dans l’impossibilité de regagner sa ville natale, en raison de la fermeture des frontières : « Plus le temps passe, précise-t-il, plus la perspective d’un retour semble s’éloigner – au vu de la dégradation de la situation. » Plusieurs séries photographiques témoignent ainsi de l’isolement grandissant de ce territoire où, comme le rappelait le chorégraphe israélien Emanuel Gat dans son spectacle donné à Avignon, les coupures d’électricité sont monnaie courante, 69% des jeunes sont au chômage, 98% de l’eau est contaminée et non-potable, 60% des enfants sont anémiques, 84% comptent sur l’aide humanitaire pour leurs besoins de base.
Une ville en état de siège
Toute l’intelligence du photographe est de ne pas chercher à adopter un propos trop polémique, mais à conduire le spectateur à réfléchir à l’urgence d’une situation, à partir d’un art certain du détournement. La série « Watchtowers », datant de 2008, établit ainsi un parallèle saisissant entre de simples châteaux d’eau et des miradors israéliens. Le choix du Noir & Blanc renforce l’intention de brouiller les pistes, tout en critiquant la normalisation d’un état de guerre, devenu permanent. Ces photos prises en Cisjordanie l’ont été par un photographe délégué ; l’artiste étant interdit de séjour en raison de son origine gazaouie. Une autre série frappe par son parti pris : « GHO809#2 » adopte la présentation d’une agence immobilière pour donner à voir l’état de délabrement de tout un ensemble de maisons détruites par les bombardements israéliens. Le décalage est ici une façon de subvertir la banalité d’une violence entretenue par l’uniformisation du regard médiatique.
Un paradis perdu
Intitulée « Home Away From Home », l’exposition s’intéresse aussi au sort de la famille de l’artiste dont une bonne partie a émigré aux États-Unis. Les séries « Chez soi, ailleurs » ou « Adam » montrent les cousins et cousines de Taysir Batniji, dans leur vie quotidienne, en Floride ou en Californie. Les sensations perdues du pays lointain ne sont jamais loin, comme en témoigne sa cousine Khadra, dans une vidéo : « Ma patrie d’origine, c’est la Palestine, mais ici c’est un deuxième chez-soi. Oui, c’est comme à la maison. » Une série de 60 gravures intitulée « To my Brother » émeut sans doute plus que les autres. Réalisées à partir de photos tirées de l’album de mariage de son frère, tué en 1987 par l’armée israélienne ; elles donnent à voir la banalité d’un bonheur qui s’éloigne chaque jour davantage.
Exposition de Taysir Batniji, « Home Away From Home », Rencontres photographiques d’Arles, jusqu’au 23 septembre 2018.