Le militant Abdelaziz Tazi, fondateur du groupe Richbond, n’est plus
Homme secret, et réservé Abdelaziz Tazi, inventeur de la brosse éponyme, entrepreneur aux intuitions fulgurantes s’en est allé discrètement, comme il a vécu. Né en 1926 à Fès, il perd son père commerçant et grossiste de thé alors qu’il n’est encore qu’un enfant. Second d’une fratrie de sept, il commence a travailler a l’âge de 15 ans pour subvenir aux besoins de sa famille. Le fondateur du groupe Richbond débute sa carrière comme réparateur de postes radio avant l’avènement du poste a transistors a une période où ses appareils pouvaient être réparés.
Vers la fin des années 1940, il rejoint Casablanca, où il commerce et surtout s’engage dans la lutte pour l’indépendance du Maroc. Il rejoint le parti choura (PDI) de Hassan Ouazzani, puis à la faveur de rencontres personnelles notamment avec celui qui restera l’un de ses amis les plus proches, Abdellah Al Ayachi, il se rapproche du parti communiste marocain dont il devient membre. Abdelaziz Tazi se lie également d’une relation très forte avec Ali Yata et tous les autres dirigeants du parti et joue un rôle actif dans la résistance notamment dans les fonctions de communication du parti. Ce n’est qu’après l’indépendance, alors que les règlements de comptes font rage entre le pouvoir et les partis, qu’il prend ses distances avec l’action politique directe et se consacre à fonder une famille. En 1958, Abdelaziz épouse Touria Tazi, infirmière issue de la toute première promotion de diplomées d’Etat marocaines. De cette union naîtront trois enfants, Karim, Nascer et Hidaya.
Cet autodidacte, avide d’apprentissage, se plonge dans les livres seul et emmagasine du savoir. Au début des années 1960, il crée sa première activité dans la mécanique industrielle, puis lance l’une des premières sociétés dans le métier du plastique qui sera finalement le sien toute sa vie. C’est à Abdelaziz Tazi que les Marocains doivent des objets mythiques comme le ballon en plastique, le chat à roulette ou en encore la bassine de la ménagère. Et bien sûr la fameuse brosse Tazi, qui fait sa fortune. Intuitif et visionnaire, il pressent que le plastique va remplacer la porcelaine et le fer blanc, et est farouchement convaincu que le succès est à chercher dans la démocratisation des produits d’usage usuel. C’était la voie d’avenir, selon lui. La suite lui donne raison. Dès 1964, il fait l’acquisition de la première machine de fabrication de mousse polyuréthane et crée un an plus tard, la société Richbond dédiée à la commercialisation de cette matière inédite au Maroc. Son introduction révolutionne les habitudes d’ameublement des classes moyennes et modestes marocaines puisqu’elle leur permet d’accéder enfin au salon traditionnel marocain, jusque là réservé aux classes bourgeoises pouvant s’offrir de la laine. En 1971, il confirme ses intuitions, et ses qualités d’homme d’affaires sensible à l’innovation, et à la rupture, en étant le premier homme d’affaire marocain à faire de la publicité à la télévision avec un spot en arabe. C’est à cette occasion qu’il développe le slogan “Ya Salam” devenu très célèbre.
Au moment où le Maroc s’enlise dans la crise économique, à la fin des années 1970, et connaît une situation économique terrible puis le plan d’ajustement structurel, Abdelaziz Tazi décide de jouer quitte ou double avec la totalité de sa fortune en investissant tout ce qu’il a comme capital dans l’augmentation des capacités industrielles de Richbond. L’homme qui a du flair, doit faire face à la politique protectionniste mise en place par l’Etat. Il décide d’investir dans le tissage et la filature pour s’auto-fournir en tissu. Ce fut un “double” pour lui. Le groupe se met dans une orbite de croissance très importante à partir de cet instant. Alors que ses affaires prospèrent, Abdelaziz Tazi continue à financer le parti communiste devenu PPS, mais préfère rester loin des projecteurs. Il désapprouve l’attitude des élites économiques marocaines et ne les fréquentee pas. Il était convaincu que l’appartenance à une élite conférait des responsabilités, et des devoirs. Les élites marocaines n’étaient pas conscientes des leurs selon lui. Il n’était donc proche que des personnalités politiques, comme Ali Yata, de plusieurs artistes qui venaient le voir au bureau, qu’il a aidés. Nass El Ghiwane, Jil Jilala, Lemchaheb jouaient à la maison, chez lui régulièrement.
Toute sa vie, Abdelaziz Tazi a tenu à assurer une cohérence entre sa carrière industrielle et ses convictions de militant. Il n’a jamais tenté d’obtenir aucune forme de rente de l’Etat, et refusait systématiquement que les entreprises de son groupe participent a des appels d’offre publics s’il avait des raisons de penser que la procédure d’attribution ne serait pas parfaitement transparente. Il disait toujours préférer se battre contre la concurrence pour satisfaire les besoins de la consommatrice marocaine plutôt que d’élaborer des techniques obscures pour remporter des marchés publics. La consommatrice marocaine ne laisserait jamais tomber celui qui répondait à ses besoins, ne cessait-il de répéter. Il laisse en héritage ses précieuses inventions et son engagement qu’il a porté toute sa vie, pour un Maroc plus juste.