Economie

Changements climatiques : cloisonnements institutionnels et lacunes de données freinent l’adaptation marocaine

Face à la vulnérabilité croissante de ses régions côtières, le Maroc doit concilier leadership climatique international et réformes structurelles internes, en intégrant données, finance innovante et gouvernance collaborative. Détails.

Alors que le Maroc s’affiche en pionnier climatique, ses régions côtières rappellent une vérité crue :
sans réforme structurelle, la résilience reste un mirage. Le Global Environment Facility (GEF) identifie trois priorités pour le Royaume : centraliser les données climatiques, clarifier les PPP et former les acteurs locaux à la GIZC.

Le rapport du Global Environment Facility (GEF) révèle un paradoxe marocain : si le pays est un leader régional en matière d’atténuation climatique, ses régions côtières, notamment Tanger-Tétouan-Al Hoceima, restent vulnérables aux impacts climatiques.

Face à l’urgence d’adapter les zones littorales, le document esquisse une feuille de route ambitieuse, combinant réforme macroéconomique et renforcement des capacités. Un défi où finance, gouvernance et innovation sociale s’entrecroisent.

La nécessité de structurer un cadre macroéconomique résilient
Le rapport souligne une fragmentation institutionnelle persistante entre agences gouvernementales, organisations internationales et secteur privé. Comme palliatif, la création d’une plateforme dédiée, inspirée des modèles de l’Union pour la Méditerranée (UpM), pourrait harmoniser les stratégies.

Toutefois, cette ambition se heurte à des cloisonnements administratifs et à des priorités divergentes entre acteurs économiques. Sur le volet des mécanismes financiers innovants, si le Fonds Vert Marocain (MGIF) et les green bonds ont impulsé une dynamique, leur portée reste limitée aux projets d’atténuation. Le rapport préconise de «développer des instruments spécifiques à l’adaptation côtière, comme des prêts indexés sur des indicateurs de résilience». Les assureurs, quant à eux, sont appelés à concevoir des produits couvrant les pertes climatiques, un marché encore embryonnaire au Maroc.

Pour ce qui est des partenariats Public-Privé (PPP), le Programme Med cite en exemple les PPP pour des systèmes de conservation d’eau ou d’énergies renouvelables. Toutefois, un cadre juridique clarifié est nécessaire. La future Loi-Cadre sur le Changement Climatique, en révision, pourrait combler ce vide.

Pour ce qui est des données climatiques, le rapport met en lumière une lacune majeure : l’absence de systèmes intégrés de collecte, d’analyse et de partage de données climatiques, pourtant indispensables à une gestion éclairée des risques côtiers.

Actuellement, les institutions financières et les décideurs publics opèrent dans un brouillard informationnel, où les projections climatiques locales restent fragmentaires et peu accessibles. Une carence qui se répercute sur la conception des produits d’assurance, qui peinent à couvrir des aléas mal quantifiés, et sur les investissements publics, souvent guidés par des priorités politiques plutôt que par des diagnostics scientifiques.

Pour inverser cette tendance, le rapport préconise une modernisation technologique ambitieuse. Le déploiement de capteurs IoT le long du littoral permettrait une surveillance en temps réel de paramètres critiques (érosion, salinisation et température). Couplés à des modèles prédictifs alimentés par l’intelligence artificielle, ces dispositifs offriraient des scénarios d’impact ajustables, essentiels pour évaluer la rentabilité à long terme des projets d’adaptation. Par exemple, une analyse spatiale via SIG pourrait identifier les zones où les Solutions basées sur la Nature (SbN) génèrent le meilleur retour sur investissement en termes de réduction des risques. En parallèle, le rapport insiste sur l’harmonisation des bases de données entre acteurs.

Aujourd’hui, les informations collectées par le ministère de l’Équipement (suivi du trait de côte), ceux de l’Agriculture (stress hydrique) et de l’Intérieur (planification urbaine) demeurent cloisonnées. La création d’une plateforme nationale interopérable, inspirée de l’initiative «Climate Watch» de la Banque mondiale, centraliserait ces données tout en garantissant leur accessibilité aux chercheurs, assureurs et gestionnaires territoriaux. Un tel outil favoriserait également la transparence, condition sine qua non pour attirer les financements internationaux axés sur l’adaptation.

Enfin, l’enjeu dépasse la technique : il implique une culture de la donnée partagée. Les auteurs soulignent la nécessité de former les administrations locales à l’interprétation des indicateurs climatiques, afin que ces derniers informent concrètement les Schémas Régionaux du Littoral. Sans cette appropriation, les avancées technologiques risquent de rester lettre morte, incapables de transformer la gouvernance des zones côtières marocaines.

Renforcement des capacités : former pour transformer
Le rapport identifie un décalage culturel majeur au sein du secteur financier marocain : l’adaptation climatique y est encore perçue comme une contrainte budgétaire, non comme un levier de création de valeur. Le fait est que les banques marocaines se focalisent sur les rendements à court terme, ignorant les risques de dépréciation d’actifs, comme les hôtels littoraux menacés par la montée des eaux.

Pour inverser cette logique, le rapport préconise une refonte des programmes de formation, intégrant des études de cas concrets sur les Solutions basées sur la Nature (SbN). Par exemple, l’analyse coûts-bénéfices de la restauration de zones humides côtières – qui réduisent à la fois les risques d’inondation et boostent la biodiversité – démontrerait leur rentabilité à moyen terme comparée aux infrastructures grises.

Des ateliers pratiques ciblant les PME du tourisme et de la pêche, secteurs vitaux mais vulnérables de Tanger-Tétouan-Al Hoceima, pourraient illustrer comment des mécanismes de garantie partagée (type fonds mutuels) permettent de mutualiser les risques climatiques tout en attirant des prêts à taux préférentiels. L’objectif étant d’ancrer l’idée que l’adaptation est un investissement, non un coût.

Vers une Certification des compétences en GIZC
La Gestion Intégrée des Zones Côtières (GIZC) reste au Maroc un concept mal maîtrisé par les gestionnaires locaux, faute de normes claires. Sans référentiel de compétences, les municipalités priorisent des projets d’urgence (digues) au détriment d’une vision écosystémique.

Le rapport propose la création d’un certificat national en GIZC, aligné sur les standards internationaux (UICN, MedPAN), combinant des modules théoriques (droit maritime, économie bleue) et des mises en situation via des plateformes collaboratives.

La méthodologie testée dans le cadre du Schéma régional du littoral de Tanger-Tétouan-Al Hoceima servirait de modèle : en simulant des scénarios de submersion ou de pénurie touristique, elle permet aux décideurs d’évaluer en temps réel les arbitrages entre protection environnementale et développement économique. Une certification qui, associée à un annuaire national d’experts labellisés, renforcerait la professionnalisation du secteur tout en facilitant l’accès aux financements climatiques internationaux, de plus en plus exigeants sur les critères de compétence des porteurs de projet.

Un test pour le Leadership climatique marocain
Disons que la réussite des réformes proposées repose sur deux leviers stratégiques, révélateurs de la capacité du Maroc à transformer ses ambitions climatiques en réalité économique.

Premièrement, l’articulation Nord-Sud : fort de son expérience en tant qu’hôte du Fonds Bleu pour le Bassin du Congo, le Royaume pourrait piloter un mécanisme méditerranéen de mutualisation des risques côtiers. Inspiré des modèles de «climate risk pools» comme la Caribbean Catastrophe Risk Insurance Facility, ce dispositif permettrait aux pays riverains de partager les coûts des catastrophes via des instruments financiers mutualisés (obligations catastrophes, fonds de réassurance). Une telle initiative consoliderait le rôle du Maroc comme pont entre l’Afrique et l’Europe, tout en attirant des financements bilatéraux ciblés.

Deuxièmement, la budgétisation verte : intégrer les critères d’adaptation dans le budget national, comme le prévoit la SNDD, exige une révolution comptable. Il s’agit non seulement de flécher des crédits spécifiques, mais aussi d’évaluer ex post l’impact climatique de chaque dépense publique, sur le modèle du «budget vert» français. Une démarche qui implique une refonte des audits, avec l’introduction d’indicateurs tels que le «coût évité» relatives aux inondations ou la valorisation économique des services écosystémiques préservés. Un défi technique de taille, alors que moins de 20% des collectivités locales marocaines disposent aujourd’hui d’outils de suivi climatique.

Rappelons que le Maroc a posé les bases législatives avec la Loi-cadre 99-12 sur l’environnement et la réforme de la gouvernance climatique. Reste à insuffler une culture de la redevabilité climatique dans chaque ministère et chaque investissement.

L’objectif de consacrer 45% des investissements climatiques à l’adaptation d’ici 2030 (NDC révisé) ne sera atteint que si ces deux piliers – coopération régionale et budgétisation innovante – structurent l’action publique. Un test décisif pour un pays dont la crédibilité climatique internationale repose sur sa capacité à concilier leadership diplomatique et transformation économique interne.

L’équation du capital humain

Le rapport du Global Environment Facility (GEF) ne se contente pas de dresser un état des lieux – il esquisse une refonte systémique. En tissant des liens entre réformes macroéconomiques, innovation financière et empowerment local, le Maroc pourrait transformer sa vulnérabilité climatique en laboratoire de résilience méditerranéenne. Reste à mobiliser un ingrédient clé, souvent négligé dans les analyses techniques : le capital humain.

Bilal Cherraji / Les Inspirations ÉCO


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