Secteur financier marocain et résilience climatique : un bilan en demi-teinte, selon le Global Environment Facility

Alors que le Maroc ambitionne de renforcer sa résilience climatique, le rapport du GEF révèle les lacunes structurelles du secteur financier dans le financement de l’adaptation côtière. Entre initiatives prometteuses et régulation fragmentée, le pays doit accélérer sa transition vers une finance climato-intelligente.
Avec 78 milliards de dollars nécessaires d’ici 2050, la résilience climatique du Maroc dépend d’une réforme urgente de son secteur financier. Le rapport du Global Environment Facility (GEF) rappelle que 2% du PIB du Royaume est menacé annuellement par les coûts climatiques.
Alors que le pays intensifie ses efforts pour faire face aux défis climatiques, l’étude en question, réalisée dans le cadre du MedProgramme, jette une lumière critique sur le rôle du secteur financier dans le financement de l’adaptation côtière.
Malgré des avancées notables en matière de finance verte, le rapport révèle des lacunes structurelles qui entravent la pleine intégration des risques climatiques dans les décisions financières. Pour un pays dont 60% de la population vit à proximité des côtes et où la région Tanger-Tétouan-Al Hoceima est classée «point chaud» climatique, ces enjeux sont vitaux.
Un engagement émergent, mais fragilisé par des lacunes structurelles
Selon le rapport du GEF, le secteur financier marocain, composé de banques, assureurs et institutions parapubliques, témoigne d’une prise de conscience progressive des enjeux climatiques, matérialisée par des initiatives pionnières. Des acteurs tels qu’Attijariwafa Bank et Wafa Assurance ont lancé des produits verts, incluant des prêts pour l’efficacité énergétique ou des assurances couvrant les dommages liés aux aléas climatiques. Des efforts qui, bien que prometteurs, peinent à s’inscrire dans une stratégie sectorielle unifiée.
Le rapport souligne que «la majorité des banques marocaines ne surveillent pas de manière exhaustive leur exposition aux risques climatiques, ce qui limite leur capacité à orienter les capitaux vers des projets résilients». Cette lacune opérationnelle se traduit par un chiffre éloquent : seules 20% des institutions financières disposent de politiques internes intégrant l’évaluation des risques climatiques dans l’octroi de crédits. Une fragmentation qui s’explique principalement par l’absence de cadres réglementaires contraignants et par une culture financière encore ancrée dans des paramètres traditionnels, négligeant les impératifs de résilience à long terme.
Ainsi, malgré une volonté affichée, le manque de coordination et de normes claires freine la transition vers une finance pleinement alignée sur les objectifs climatiques nationaux.
Banques et assureurs : deux acteurs clés en quête de leadership
Le secteur bancaire marocain, bien qu’actif dans le financement de projets d’énergies renouvelables, souffre de limites dans la gestion des risques physiques (montée des eaux, sécheresses) et de transition (décarbonation des économies).
Le rapport note que les critères ESG (Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance) restent marginalisés dans les analyses de crédit, malgré l’existence de standards internationaux.
Par exemple, Attijariwafa Bank, pourtant leader en finance verte avec des investissements dans des parcs éoliens, maintient un portefeuille exposé à des secteurs vulnérables comme le tourisme côtier ou l’agriculture intensive, illustrant une dissonance entre ambitions et réalité stratégique.
Du côté des assureurs, des innovations émergent, à l’image d’AXA Assurance Maroc, qui propose des produits couvrant les pertes climatiques. Toutefois, leur impact reste limité par une couverture géographique concentrée sur les zones urbaines et un manque de modélisation fine des risques côtiers, tels que l’érosion marine.
Le rapport relève que «l’assurance climatique ne couvre que 15% des ménages ruraux, pourtant les plus exposés aux chocs climatiques».
Une dichotomie entre innovation et accessibilité qui souligne un déficit de vision systémique, où les outils existants ne répondent pas aux besoins des populations et des écosystèmes les plus vulnérables. Si les assureurs et les banques détiennent un potentiel transformateur, leur leadership reste conditionné à une intégration holistique des risques climatiques, combinant anticipation des chocs et inclusion territoriale.
Obstacles structurels : régulation, données et coordination
Le rapport identifie trois freins majeurs entravant l’intégration des risques climatiques dans le secteur financier marocain. Premièrement, le cadre réglementaire reste fragmenté : bien que la Loi 110-14 (2016) ait instauré une protection financière contre les catastrophes naturelles, elle ne couvre pas les risques climatiques à long terme, tels que l’élévation du niveau de la mer ou la désertification.
Contrairement à l’Union européenne ou au Royaume-Uni, aucune obligation légale n’exige des institutions financières qu’elles publient des rapports détaillés sur leur exposition à ces risques, limitant la transparence et la redevabilité. Deuxièmement, les données climatiques disponibles sont parcellaires : les institutions manquent d’informations granulaires pour évaluer les risques par secteur ou par zone géographique.
Par exemple, les projections côtières à l’horizon 2050, pourtant essentielles pour des investissements durables, ne sont pas intégrées aux outils d’aide à la décision. Enfin, la coordination entre acteurs publics et privés accuse un retard critique. Malgré des initiatives comme le Fonds marocain pour les investissements vert (MGIF), les Partenariats public-privé (PPP) dédiés à l’adaptation côtière restent rares, en raison de modèles économiques peu attractifs et d’une réticence à partager les risques.
Le rapport souligne d’ailleurs que «les PPP pour l’adaptation côtière sont rares, faute de modèles économiques attractifs et de partage des risques», révélant un manque de synergie entre politiques publiques et logiques de marché.
Recommandations : vers une finance résiliente
Pour surmonter ces défis, le rapport du GEF propose une feuille de route structurée autour de quatre axes prioritaires. Le premier vise à renforcer la régulation climatique via l’introduction de stress tests climatiques obligatoires pour les banques et assureurs, inspirés des pratiques de la Banque centrale européenne (BCE), et l’élaboration d’une taxonomie verte nationale alignée sur les standards internationaux. L’objectif étant de clarifier les critères d’éligibilité des projets «durables».
Parallèlement, le rapport préconise d’investir dans l’innovation et la gestion des données, notamment en développant des plateformes collaboratives pour partager les données climatiques – à l’image du projet Climagine de Plan Bleu – et en finançant des outils de modélisation des risques côtiers, en partenariat avec des instituts de recherche. Le troisième axe insiste sur la nécessité de stimuler les PPP et les instruments financiers hybrides, en créant des fonds garantis par l’État pour rassurer les investisseurs privés et en lançant des obligations vertes spécifiquement dédiées à l’adaptation côtière, adossées à des projets tangibles.
Enfin, le rapport appelle à prioriser la formation sectorielle, en intégrant des modules sur la finance climatique dans les cursus de l’Institut marocain des actuaires et en organisant des ateliers conjoints réunissant institutions financières, scientifiques et décideurs publics. Des mesures, combinées, qui permettraient de transformer les contraintes climatiques en opportunités économiques, tout en sécurisant les investissements nécessaires à la résilience des zones côtières, lesquelles abritent, pour rappel, 60% de la population et une part importante du PIB national.
Un impératif de résilience
Face à un besoin d’investissement estimé à 78 milliards de dollars d’ici 2050 pour réussir sa transition bas-carbone, le Maroc ne peut ignorer l’urgence de réformer son secteur financier. Une finance climato-intelligente représenterait un levier stratégique pour concilier croissance économique et résilience. Elle permettrait, d’abord, de réduire les coûts futurs des catastrophes climatiques, aujourd’hui évalués à 2% du PIB annuel, selon les estimations du rapport.
En intégrant les risques physiques et de transition dans les modèles économiques, le pays éviterait des pertes colossales liées à l’inondation des zones côtières ou à l’effondrement des récoltes.
Parallèlement, une finance alignée sur les standards du climat attirerait des financements multilatéraux, tels que ceux du Fonds vert pour le climat ou de la Banque européenne d’investissement (BEI), essentiels pour combler le déficit de capitaux locaux.
Enfin, cette démarche positionnerait le Royaume comme hub régional de la finance verte en Afrique, capitalisant sur son avance dans les énergies renouvelables et sa stabilité macroéconomique. Une telle transition offrirait un avantage compétitif dans un marché mondial en quête de projets durables, tout en sécurisant les emplois et les infrastructures critiques des régions vulnérables et fortement peuplées, où se concentrent des secteurs clés comme le tourisme et la logistique.
La balle est désormais dans le camp des régulateurs, des banquiers et des assureurs
Le rapport du GEF souligne un paradoxe marocain : un engagement politique fort en faveur du climat, mais un secteur financier encore en retrait. Pour transformer l’essai, une synergie entre régulation audacieuse, innovation data et partenariats inclusifs s’impose.
En effet, sans une financiarisation des risques climatiques, le Maroc ne pourra pas protéger ses côtes – et par extension, son économie. La balle est désormais dans le camp des régulateurs, des banquiers et des assureurs pour faire de la résilience climatique un pilier de la finance marocaine.
Bilal Cherraji / Les Inspirations ÉCO