Ryad Mezzour : “La décarbonation n’est pas une contrainte, mais une opportunité pour notre industrie”
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Ryad Mezzour
Ministre de l’Industrie et du Commerce
Face aux défis croissants de la transition écologique et aux exigences internationales en matière de durabilité, le Maroc se positionne en acteur clé de l’industrie verte. Dans cet entretien, Ryad Mezzour, ministre de l’Industrie et du Commerce, revient sur les mesures stratégiques mises en place pour accompagner la décarbonation du secteur industriel marocain. Entre soutien financier, innovation technologique et promotion du «Made in Morocco Green», il détaille les leviers qui permettent aux entreprises nationales de renforcer leur compétitivité tout en répondant aux nouvelles normes environnementales.
Quelles sont les mesures prioritaires mises en place par votre ministère pour soutenir la décarbonation de l’industrie marocaine et répondre aux exigences des marchés internationaux, notamment en lien avec le Mécanisme d’Ajustement Carbone aux Frontières (MACF) de l’Union européenne ?
87,5% des exportations marocaines sont des biens manufacturés et la plupart de nos secteurs industriels exportent donc une part importante de leur production (automobile, textile, aéronautique, agroalimentaire, etc…) notamment en Europe comme vous l’avez mentionné. La décarbonation de l’industrie est donc une priorité stratégique pour notre pays si l’on souhaite maintenir notre présence sur les marchés internationaux.
Dans ce contexte, une panoplie de mesures et d’instruments de soutien, technique et financier ont été mis en place pour accompagner les entreprises à réussir leur transition énergétique et répondre aux exigences des marchés internationaux.
Parmi eux, le programme d’accompagnement “Tatwir-Croissance verte”. Il s’agit d’un soutien financier direct aux TPME industrielles pour les soutenir dans leurs démarches de développement de Process et produits décarbonés et favoriser l’émergence de nouvelles filières industrielles vertes compétitives.
Ainsi, une panoplie de projets portant sur l’intégration des énergies renouvelables, l’intégration de l’efficacité énergétique, le recyclage et la valorisation des déchets et la mise en place des stations d’épuration des eaux usées.
Ce programme a également permis aux entreprises de bénéficier de conseil et d’expertise technique afférents sur des projets d’investissements verts (audit et diagnostic environnemental et énergétique, étude de faisabilité, plan de décarbonation, conception et développement de produits verts…) avec un financement à hauteur de 90%.
Des résultats probants ont été enregistrés sur la période 2021-2023. Près de 100 projets ont bénéficié de l’appui financier de ce programme avec un montant d’investissement global de 580,8 MDH permettant la création de 1565 emplois verts directs et 1188 emplois indirects.
La «Task Force souveraineté» du ministère, accompagne, elle aussi, plusieurs projets d’investissement portant sur l’économie circulaire, l’intégration de l’efficacité énergétique et des énergies renouvelables ou encore l’installation de STEP.
Enfin, la signature d’une convention sous la présidence du Chef du gouvernement en décembre 2022 permet aux industriels de bénéficier de l’énergie électrique à prix très compétitif.
Quels secteurs industriels sont les plus impactés par la transition vers une industrie verte, et quelles actions concrètes sont prévues pour accompagner leur transformation ?
Toute notre industrie est concernée par cette problématique qui s’impose comme un critère majeur d’accès aux marchés étrangers et un levier essentiel d’amélioration de la compétitivité et l’attractivité du secteur industriel.
La transition énergétique n’est donc plus un choix, mais une nécessité pour toutes nos entreprises.
Il faut savoir que le mécanisme CBAM appliqué dès 2026 touchera d’abord 6 secteurs (ciment, fer et acier, aluminium, électricité, fertilisants et hydrogène). Tous ces secteurs ont entamé bien avant l’arrivée de cette loi leur décarbonation.
Le secteur du ciment, qui est déjà alimenté en énergie verte à hauteur de 43%, se fixe comme objectif l’atteinte de la neutralité carbone à l’horizon 2050. C’est le cas aussi pour des secteurs comme l’aéronautique ou l’automobile avec Renault dont le site de Tanger est reconnu «zéro carbone et zéro émission» depuis plus d’une dizaine d’années.
Nous avons la chance d’avoir une industrie jeune avec des entreprises capables de s’adapter et d’adopter des process nouveaux. C’est pourquoi la décarbonation est une vraie opportunité pour nous et nos industriels et non pas comme une contrainte ou une évolution négative du marché.
Comme dis précédemment, nos actions portent sur la promotion de l’utilisation d’une énergie propre (solaire, éolien…), de l’efficacité énergétique, la création et le développement des activités vertes (recyclage et valorisation des déchets industrielle et énergétique), la promotion des produits verts (hydrogène vert, l’ammoniac vert, etc.) et l’accompagnement quotidien de nos opérateurs dans leur transformation énergétique pour une compétitivité accrue. Nous sommes pleinement mobilisés pour accompagner les entreprises marocaines dans leur transition énergétique.
Comment le ministère soutient-il l’innovation technologique pour réduire l’empreinte carbone dans les industries clés, comme l’automobile, la chimie ou, le ciment ?
Dans ce grand chantier de décarbonation industrielle, la R&D est considérée, à juste titre, comme un levier stratégique au développement d’un environnement propice à l’émergence de l’entrepreneuriat vert et de l’innovation.
En partenariat avec la CGEM et le ministère de l’Économie et des Finances, nous avons lancé le Fonds de soutien à l’innovation. Ce programme comprend une offre intégrée qui vise le développement de l’entrepreneuriat vert et de l’innovation dans le secteur industriel particulièrement en matière d’équipement en technologie verte innovante.
À ce jour, 116 projets ont été retenus dans le cadre de ce programme, d’un coût global d’environ 645 MDH, avec une contribution de l’Etat qui s’élève à 44%. De nombreux programmes et projets menés dans le cadre de la coopération internationale, contribuent aussi à la promotion des techniques et des technologies de consommation et de production propre dans le secteur industriel. À titre d’exemple, la réalisation d’audit énergétique au sein d’un échantillon d’entreprises consommatrices d’énergie, ou encore le programme «Switch to circular Economy value chains, Green forward» pour la formation des entreprises industrielles sur les technologies liées à l’efficacité énergétique.
Aussi, en collaboration avec la Fondation Mohammed VI pour la protection de l’environnement d’autres partenaires, Le ministère a travaillé à la mise à disposition d’un outil de calcul du bilan carbone permettant aux entreprises industrielles de mesurer leur empreinte carbone à travers l’accès à une plateforme digitale.
Le «Made in Morocco Green» est présenté comme un avantage compétitif pour les entreprises marocaines. Quels sont, selon vous, les leviers pour promouvoir ce positionnement sur les marchés internationaux ?
Le «Made in Morocco Green» représente, en effet, une opportunité stratégique pour les entreprises marocaines de se différencier sur les marchés internationaux, notamment dans un contexte où la durabilité et l’écoresponsabilité deviennent des critères clés pour les consommateurs, les investisseurs et les importateurs étrangers.
Pour cela, nous misons grandement sur la production durable pour renforcer le rayonnement du Made in Morocco au niveau international et aider les entreprises marocaines à se positionner comme des leaders dans l’adoption de pratiques industrielles respectueuses de l’environnement.
Aussi, il faut rappeler que notre pays a depuis des années pris le pari des énergies renouvelables et fait des investissements massifs dans ce sens notamment dans nos provinces du Sud.
Aujourd’hui, le Maroc se positionne comme un des pays les plus compétitifs au monde en termes d’énergies renouvelables et ambitionne d’être un leader dans la production d’hydrogène vert. Ceci aura indéniablement un impact considérable sur la compétitivité de nos entreprises, en particulier à l’égard de l’Union européenne, notre premier marché d’exportation et demandeur de solutions vertes durables et à moindre coût. Ainsi le positionnement géographique et stratégique du Maroc ne peut que renforcer le Made in Morocco Green.
Comment le ministère collabore-t-il avec les autres acteurs publics et privés pour renforcer le cadre normatif et réglementaire soutenant la transition écologique de l’industrie ?
La transition écologique de l’industrie est un enjeu crucial pour la durabilité et la compétitivité de l’économie nationale qui nécessite un cadre normatif et réglementaire solide.
À ce titre, le ministère travaille de concert avec les acteurs publics notamment les départements ministériels tels que le ministère de l’Équipement et de l’Eau, le ministère de la Transition énergétique et du Développement durable ou encore les agences sous tutelle concernées. C’est ainsi que nous contribuons activement à l’élaboration et à la mise à jour des textes réglementaires et des normes visant le développement d’une industrie verte performante.
Parmi ces textes, citons la loi 28-00 relative à la gestion des déchets et à leur élimination et qui participe au processus de régulation de la gestion des importations et des exportations des déchets. Nous avons aussi contribué à l’élaboration de la loi 10-95 relative à la gestion de l’eau, en vertu de laquelle nous avons mis en place, en collaboration avec les départements ministériels concernés et les associations et fédérations professionnelles, des valeurs limites pour les rejets de plusieurs activités industrielles, obligeant ainsi les entreprises à procéder au prétraitement des rejets liquides industriels avant de les déverser dans le milieu hydrique.
Par ailleurs, le ministère est membre du comité national et des comités régionaux dédiés aux études d’impact sur l’environnement. Pour rappel, la loi 12-03 sur l’Etude d’impact sur l’environnement (EIE) et ses textes
d’application exigent la réalisation d’une étude d’impact environnementale pour chaque projet
d’investissement.
Un enjeu de compétitivité
L’entrée en vigueur du Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (CBAM) de l’Union européenne représente un tournant pour les industries exportatrices marocaines. Destiné à taxer les importations de produits à forte empreinte carbone, ce dispositif vise à aligner les standards environnementaux des partenaires commerciaux de l’UE avec ses propres exigences de décarbonation. Dès 2026, des secteurs clés tels que le ciment, l’acier, l’aluminium, les fertilisants et l’électricité seront directement concernés.
Pour rester compétitives sur le marché européen et éviter des coûts supplémentaires, les entreprises marocaines doivent intensifier leurs efforts de décarbonation. Cela implique une transition vers des sources d’énergie propres, une meilleure gestion de la consommation énergétique, l’intégration de solutions de recyclage et l’adoption de processus industriels à faible empreinte carbone.
La mise en place d’outils de mesure précis, comme le bilan carbone, devient également incontournable pour répondre aux nouvelles normes environnementales imposées par l’UE. Des initiatives comme le programme «Tatwir-Croissance Verte» ou encore le Fonds de Soutien de l’Innovation apportent un appui financier et technique pour accompagner les industriels dans cette mutation.
Sanae Raqui / Les Inspirations ÉCO