Tourisme: les agences de voyage en crise
Alors que le tourisme affiche une insolente santé avec plus de 104 milliards de dirhams de recettes engrangés l’an dernier, près de la moitié des agences de voyage sont dans une situation économique «dramatique», selon leur Fédération. La valeur ajoutée échappe à la profession faute d’avoir anticipé les transformations numériques et le comportement d’achat du touriste.
Les voyagistes marocains sont dans une situation pour le moins paradoxale. Alors que les indicateurs du tourisme (104,7 milliards de dirhams et 14,5 millions d’arrivées en 2023) volent de record en record, la majorité des agences de voyages traversent «une situation dramatique», tranche Mohamed Semlali, président de la Fédération nationale des agents de voyages du Maroc (Fnavm).
Sur les 2.000 agences immatriculées au Maroc, au moins la moitié serait en veilleuse. Au mieux, elles ne vivent que du tourisme religieux, la Omra et le grand pèlerinage. Le plus étonnant à cette crise qui frappe ces professionnels, c’est le contraste entre la forme olympique qu’affiche l’outgoing, le segment du marché qui englobe les voyages à l’étranger. En effet, l’an dernier, les ménages marocains ont dépensé 23,88 milliards de dirhams marquant un bond spectaculaire de 23,4%. Au titre des voyages personnels (tourisme, soins médicaux, études, etc), les Marocains ont déboursé 22,63 milliards de DH contre 1,26 milliard pour les voyages professionnels.
En principe, cette embellie devrait rejaillir sur la situation économique des agences de voyages. Il n’en est rien, confirme le président de la Fédération des voyagistes. Il y a encore deux ans, l’émission des billets d’avion représentait 30% des dépenses de voyage à l’étranger, ce qui permettait aux voyagistes de «sécuriser» quelque peu leurs revenus.
Sur les vols intérieurs, les agents de voyage facturent 120 dirhams au client, 240 dirhams sur les vols moyen-courrier et 480 dirhams sur les réservations en business class. Or, pour le même billet, si le client achète via le site de la compagnie aérienne, il réalise au minimum une économie équivalente aux frais qu’il supporte à l’agence de voyages. La billetterie des compagnies aériennes, qui constituait jadis un matelas de sécurité pour les voyagistes, est en train de se rétrécir à la faveur de la montée en puissance de la désintermédiation.
La vague numérique dans l’industrie mondiale des voyages et la transformation radicale du comportement d’achat des touristes ont fait de gros dégâts chez les voyagistes marocains même si ces derniers se défendent d’avoir raté le train de cette révolution et de ne pas avoir anticipé ces changements. Pourtant, le décrochage structurel des voyages à forfait devait sonner comme un avertissement pour la profession. Il a fini par faire éclater le modèle économique des intermédiaires.
Au Maroc, les flux d’activité des T.O ne représentent aujourd’hui, au mieux, que 35% des séjours, même si Agadir peut afficher une moyenne bien plus élevée grâce à la densité de ses clubs «all inclusive». L’essentiel des 14,5 millions de touristes ayant séjourné au Maroc en 2023 n’ont pas emprunté les circuits «historiques» auxquels semblent s’accrocher une partie des voyagistes marocains. Les plateformes en ligne comme Booking.com ou Expedia, très présentes sur le marché marocain, sont directement accessibles par les voyageurs. Ces derniers peuvent rechercher et réserver des vols, des hôtels et d’autres services touristiques sans nécessairement passer par une agence de voyages.
En effet, réserver un billet d’avion et une chambre d’hôtel n’importe où dans le monde est aujourd’hui à portée d’un simple clic sous réserve de disposer d’une carte de crédit. Les défenseurs du net mettent surtout en avant la possibilité d’obtenir des prix moins chers. C’est vrai dans certains cas car le consommateur évite d’éventuels frais de dossier facturés par l’agence de voyage. Les plateformes de réservation elles-mêmes agissent comme intermédiaires entre les hôtels et les clients, permettant à ces derniers de comparer les tarifs et les avis sur une structure pour prendre une décision éclairée.
À la Fédération nationale des agences de voyages, on n’est pas loin du déni. Son président fulmine contre ce qu’il qualifie de «concurrence déloyale de grandes plateformes de réservation en ligne, des hôteliers, et l’activité informelle de petits acteurs qui vendent des voyages sur les réseaux sociaux».
Il faut mettre en œuvre des chantiers, un accompagnement et des réformes réglementaires, insiste Mohamed Semlali qui ne comprend pas que Booking.com continue de vendre des réservations hôtelières aux Marocains résidant au Maroc alors que la même prestation lui est interdite en Turquie. Entre les lignes, les voyagistes réclament quelques barrières à l’entrée dans leur profession au risque d’apparaître comme menant un combat d’arrière-garde.
Abashi Shamamba