François Conradie : “Les perspectives sur l’inflation sont meilleures en 2024”
Pour l’économiste sénior à l’Oxford Economics Africa, François Conradie, les consommateurs africains devraient bénéficier d’un environnement plus favorable en 2024 par rapport à l’année dernière, en ce qui concerne l’inflation. Dans cette interview, il brosse un tableau de la situation économique prévue, selon les régions du continent.
Quelles sont les principales tendances économiques prévues pour le continent au cours de l’année 2024 ?
Pour le consommateur africain, on peut dire que les perspectives qui s’annoncent sont plutôt meilleures que ce qui a été vécu en 2023. Le choc de l’inflation, qui a suivi l’invasion russe de l’Ukraine, s’est un peu tassé. Les prix ont commencé à baisser et l’inflation diminue dans tous les pays du continent. Bientôt, les banques centrales vont suivre, avec des baisses de taux d’intérêt. Tout cela est positif pour le consommateur. Mais en même temps, on constate que les gouvernements sont à court d’argent.
Beaucoup d’États négocient actuellement avec le FMI pour obtenir des financements et ont commencé à augmenter les impôts, tout en supprimant certaines subventions. C’est le cas, notamment, au Kenya. Cela dit, pour les investissements, on risque d’avoir des secteurs dans lesquels les gouvernements ne seront plus en mesure de fournir les services attendus par les citoyens, à l’image de l’éducation et de la santé. Ce qui constitue plutôt une opportunité pour les investisseurs privés.
En Afrique du Nord, quelles sont les opportunités qui s’offrent aux investisseurs ?
L’Afrique du Nord bénéficie d’une prise de conscience de la part des multinationales sur la nécessité d’avoir des chaînes logistiques à portée. C’était le cas lors de la covid-19, avec des complications sur les importations en provenance de la Chine, par exemple. Cela a poussé de nombreuses sociétés à s’implanter en Égypte et au Maroc surtout, afin d’être plus prêts des clients européens.
D’ailleurs, même des entreprises chinoises ont fait ce choix de se rapprocher de leurs clients européens, en s’installant en Afrique du Nord. C’est donc une très bonne chose pour ces économies, en termes de création d’emplois et de valeur ajoutée industrielle et sur le PIB. Maintenant, si l’on raisonne par pays, on ne peut que s’inquiéter du déficit pluviométrique au Maroc et ses conséquences sur le secteur agricole.
En Égypte, une crise fiscale assez sérieuse oblige le gouvernement à négocier une hausse de ses emprunts avec le FMI. Des hausses de salaires, annoncées récemment par le président Sissi, vont coûter environ 6 milliards de dollars. C’est donc une logique assez ambiguë. Quant à la Tunisie, des problèmes internes et un manque de clarté sur la politique de l’investissement fait douter les investisseurs.
Quelle est la situation dans une autre région importante du continent, à savoir l’Afrique de l’Ouest ?
Cette région connait des évolutions politiques importantes et qui méritent d’être surveillées. C’est, notamment, le cas avec la création de l’Alliance des États du Sahel (AES) et qui ont annoncé leur retrait de la CEDEAO. Ce retrait a été annoncé, mais il n’est pas aussi simple que cela à réaliser. Car il faudrait surveiller ce qui se fera sur les liens commerciaux et autres règles douanières, sans parler de la libre-circulation des personnes et des biens. S’il y a un choc dans ce sens dans la région, cela peut affecter beaucoup d’entreprises. À part cela, les perspectives de cette région sont plutôt positives. Le Sénégal, le Ghana et la Côte d’Ivoire s’engagent avec le FMI. Pour l’instant, nous pensons que les hausses des impôts et les coupes budgétaires n’auront pas d’effets importants sur les entreprises. Cela se sentira de façon graduelle. L’environnement international est plutôt favorable, avec la baisse de l’inflation.
On parle rarement de l’Afrique de l’Est. Comment s’y présente la situation et quelles sont les perspectives liées à l’investissement ?
L’Afrique de l’Est est en réalité une région très prometteuse pour le business. C’est une région qui vit une très forte croissance de sa population. Il y a beaucoup d’opportunités de commerce, et c’est dommage que certains pays s’adonnent à des restrictions sur le plan commercial. Mais il n’empêche que les services financiers y sont très développés. Les entreprises kenyanes sont très performantes dans ces secteurs et se déploient dans le reste de la région d’Afrique orientale.
Et pour l’Afrique australe, à quoi faut-il s’attendre pour cette année 2024 ?
L’Afrique australe, comme région, est tirée principalement par l’Afrique du Sud et l’Angola. En Afrique du Sud, des problèmes de délestage et d’électricité compliquent l’environnement économique, mais il n’empêche que l’inflation est plutôt sur une tendance baissière. Nous pensons que 2024 sera meilleure que les années précédentes, même s’il faut souligner que c’est aussi une année électorale. Les tensions ne manqueront certainement de se raviver et cela peut avoir un effet de découragement sur les investisseurs intéressés par le marché sud-africain.
En Angola, c’est surtout une question de pétrole. Le pays est sorti de l’OPEP, car il ne voulait pas se voir obligé de limiter sa production de pétrole. Il produit donc beaucoup plus de pétrole aujourd’hui. Avec la baisse probable du prix du baril, la situation risque d’être moins reluisante que prévu, mais globalement cela devrait aller. Le pays est dans une dynamique de privatisation de certaines sociétés publiques sur le marché boursier.
Abdellah Benahmed / Les Inspirations ÉCO