Economie

Importance des sols sains dans le nexus climat-énergie-eau-alimentation : un appel à l’action pour l’Afrique

«Le raisonnement simple et linéaire, selon lequel arrêter la conception de combustibles fossiles permettrait d’arrêter le réchauffement climatique, est une comptabilité carbone défectueuse», estime le Dr Daniel Nahon. Il fait des recommandations aux décideurs politiques, chercheurs, agriculteurs et praticiens sur la manière de réussir la transition verte sur le continent africain. 

Pour le Dr Daniel Nahon, la révolution agricole en Afrique offre une opportunité unique de développer une agriculture durable qui soutient les agriculteurs et garantit la santé des sols. Cependant, cela nécessite une approche spécifique aux réalités africaines, en évitant les erreurs du passé et en intégrant les dimensions économiques, sociales et environnementales. La transition verte en Afrique ne peut réussir que si elle s’accompagne d’une révision du système économique actuel et d’un engagement en faveur de l’éducation, d’une bonne gouvernance et de normes éthiques.

Dans le cadre de «The Voice of Africa» sur la sécurité alimentaire et la durabilité, l’éminent professeur émérite de l’Université d’Ex-Marseille et fondateur du Centre européen de recherche et d’enseignement des géosciences de l’environnement (CEREGE), souligne l’importance des sols sains et leur rôle de connecteur majeur dans le nexus climat-énergie-eau-alimentation. Il met en évidence la complexité inhérente à l’agriculture en tant que système, avec de multiples interactions qui s’influencent mutuellement dans une boucle continue. Selon le Dr Nahon, le cycle du carbone est essentiel à la vie, au climat et à la composition de l’atmosphère. Cependant, il souligne que l’augmentation continue des concentrations de carbone dans l’atmosphère, résultant de la combustion des combustibles fossiles et de l’utilisation des terres, peut avoir des conséquences néfastes sur le climat.

«Le rapport de Jules Charney, demandé par le président Carter en 1979, a indiqué que les concentrations atmosphériques de carbone augmentaient continuellement en raison de la combustion des éléments fossiles et de l’utilisation des terres, ce qui aurait un impact sur le climat. Lorsque, dix ans après la création du GIEC, les scientifiques qui en faisaient partie ont omis la moitié du problème, à savoir la contribution de l’utilisation des terres, en se concentrant uniquement sur la combustion des ressources fossiles, c’est-à-dire l’énergie, l’erreur du GIEC est de ne pas avoir pris en compte l’importance de l’utilisation des terres dès le départ et de ne pas l’évaluer aujourd’hui à sa juste valeur. Le raisonnement simple et linéaire selon lequel arrêter la conception de combustibles fossiles permettrait d’arrêter le réchauffement climatique est une comptabilité carbone défectueuse. Aucun problème réel ne peut être résolu de manière linéaire. Tout sur Terre fonctionne par bifurcation. Ainsi, le réchauffement climatique doit être analysé de manière plurielle. Tout cela, nos universités ne l’enseignent pas. C’est pourquoi elles doivent être réorganisées pour diffuser des innovations multidisciplinaires aux petits agriculteurs et aux praticiens. La sécurité de l’eau, la sécurité alimentaire, le changement climatique, la perte de biodiversité, la prestation de services écosystémiques et l’énergie verte sont nos principaux défis sociétaux, et ils ne seront jamais résolus tant que chaque problème sera considéré indépendamment. Ils doivent donc être traités simultanément», explique le fondateur du CEREGE.

Un sol sain est le dénominateur commun à tous les défis
Dans un contexte où il est impératif d’obtenir une atmosphère moins carbonée, selon Dr Nahon, «le dénominateur commun à tous ces défis sur lesquels nous devons agir est un sol sain, la seule ressource qui n’est pas renouvelable dans le temps d’une vie humaine. Un sol sain reste le seul réservoir de carbone à utiliser de toute urgence pour empêcher le réchauffement climatique de s’envoler. Des ressources numériques massives doivent accompagner toutes ces initiatives scientifiques pour collecter des données de toutes sortes, affiner les modèles régionaux et mondiaux, communiquer les résultats de la recherche, les innovations technologiques, l’état des marchés et toutes les ressources à développer pour permettre de surveiller et de quantifier en temps réel la dégradation ou la restauration de l’environnement naturel. En bref, elles nous permettront d’agir rapidement», soutient-il.

Le Dr Nahon conclut en soulignant que la réduction des émissions de CO2 dans l’atmosphère prendra du temps en raison de sa durée de vie pouvant aller jusqu’à 100 ans. Par conséquent, il est inévitable qu’on vive dans un monde plus chaud pendant plusieurs décennies. Cependant, il appelle à une action rapide et à une approche multidisciplinaire pour relever ces défis complexes et garantir un avenir durable.

 Une approche durable pour garantir la santé des sols et soutenir les agriculteurs
Au cours de cet événement, le Dr Daniel Nahon a été interrogé sur les implications de la révolution agricole en cours, caractérisée par l’utilisation de robots, de drones et de l’Intelligence artificielle, sur la santé des sols. Il souligne l’importance d’éviter les erreurs commises lors de la première révolution verte, en particulier en ce qui concerne l’adaptation des techniques occidentales aux sols africains.

À ce propos, le scientifique souligne que les sols africains sont différents des sols européens, et que leur préservation et leur productivité nécessitent une approche spécifique. Il souligne la nécessité d’une transition agricole durable en Afrique, étant donné que la population du continent devrait doubler dans un avenir proche. Malgré la possession de 60% des réserves mondiales de sols arables, la production alimentaire par habitant en Afrique continue de diminuer, ce qui entraîne une augmentation progressive des importations alimentaires. De plus, près de 70% de la population africaine est directement ou indirectement associée à l’agriculture et en dépend pour sa subsistance.

Comment assurer la transition verte ?
Pour réussir cette transition verte en Afrique, le Dr Nahon souligne que les développements sur les plans économique, social et environnemental doivent aller de pair. Il est nécessaire de revoir le système économique actuel, qui est à la base de la dégradation de la richesse naturelle et sociale. Il remet en question la mesure du PIB, qui est centenaire, et se base sur le développement de l’énergie fossile. Il propose ainsi de prendre en compte le véritable coût de la production alimentaire en incluant le prix de l’eau douce, des sols sains, de la biodiversité, de la qualité de l’air et des forêts dans le calcul de la mesure de la performance sociale.

Enfin, le scientifique insiste sur trois dimensions cruciales pour assurer le succès de cette transition verte en Afrique : l’éducation, une bonne gouvernance et des normes éthiques. Il met en avant l’importance de respecter les droits de l’Homme, l’égalité des sexes, l’État de droit, la transparence et la réactivité.

Cette vision globale souligne l’importance de l’approche spécifique à chaque région, en tenant compte des particularités des sols et des défis auxquels elles sont confrontées. La mise en œuvre de politiques agricoles durables, basées sur une meilleure compréhension des sols africains et des pratiques adaptées, est essentielle pour garantir une agriculture qui soutienne les agriculteurs dans leur quête de produire de manière durable. La révolution agricole en Afrique doit être guidée par une approche équilibrée, où les aspects économiques, sociaux et environnementaux sont étroitement liés.

L’investissement dans l’éducation, la promotion d’une bonne gouvernance et l’adoption de normes éthiques sont des éléments clés pour créer un environnement favorable à la transition verte.  Autant d’éléments à intégrer par les décideurs politiques dans leurs politiques agricoles tout en veillant à ce que des mesures concrètes soient prises pour soutenir les agriculteurs dans leur transition vers des pratiques durables.

Modeste Kouamé / Les Inspirations ÉCO


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