Economie

Jamal Lemridi : “Les usines marocaines sont au cœur du dispositif mondial de production de Safran”

Parmi les acteurs les plus dynamiques de l’aéronautique au Maroc, Safran fait office de pionnier. Présent dans le Royaume depuis plus de deux décennies, le groupe français est implanté sur neuf sites à travers le pays qui couvrent une large palette de métiers, de la production industrielle à l’ingénierie, en passant par la maintenance. Des investissements conséquents qui devraient être maintenus et même accélérés dans les prochaines années, l’objectif étant de maintenir le leadership du groupe dans l’accompagnement de l’essor du secteur au Maroc. 

Quelle place occupe le Maroc dans les plans du groupe Safran ?
Le Maroc est un marché à fort potentiel pour Safran. Nous avons 8 sociétés présentes sur 9 sites. Notre groupe emploie plus de 3.800 personnes dans le Royaume. Les usines marocaines sont au cœur du dispositif mondial de production de Safran. De plus, nous entretenons des partenariats très forts avec les industriels du secteur, les institutions gouvernementales et les instituts de formation du pays.

Vous avez réalisé des investissements conséquents, et vous ne semblez pas près de lever le pied. Est-ce dire que le Maroc est un marché très porteur pour Safran ?
Nous avons en effet réalisé des investissements importants. Et je peux vous dire que d’autres sont en cours de réalisation ou en projets. Le Maroc offre de nombreuses opportunités. C’est pour cela d’ailleurs que l’industrie aéronautique est en plein développement dans le Royaume. Il y a des facteurs très favorables, notamment la disponibilité de ressources humaines bien formées et qualifiées. Il y a une nouvelle Charte de l’investissement qui offre un cadre très incitatif pour les investisseurs, aussi bien marocains qu’étrangers. C’est un atout très important pour le pays. Le Maroc dispose également d’une stratégie industrielle judicieuse qui est mise en œuvre depuis plusieurs années par les gouvernements successifs. Cette stratégie industrielle est très claire. Il y a un cap qui est fixé et cela offre une visibilité suffisante aux investisseurs. L’environnement des affaires est attractif et l’écosystème de sous-traitants et de prestataires est performant et en pleine croissance. Aujourd’hui, il y a des entreprises, parmi lesquelles de nombreuses PME, qui ne sont plus concentrées uniquement sur Casablanca, mais qui sont réparties dans différents pôles industriels à travers le pays. Nous avons aussi la proximité avec le marché européen, avec d’excellentes infrastructures qui fluidifient les échanges.

La palette de métiers que vous proposez à travers vos filiales est assez importante, de l’ingénierie à la fabrication de composites, en passant par l’énergie. Puisque vous ne comptez pas vous arrêter en si bon chemin, sur quels champs d’opportunités comptez-vous mettre le cap ?
En ce qui concerne les opportunités nouvelles à saisir, il y a la maintenance aéronautique (MRO, pour «maintenance, repair and overhaul», ndlr), qui est un domaine promis à un bel avenir au Maroc. D’ailleurs, les autorités marocaines cherchent à développer ce secteur. Il y a une forte demande au niveau mondial et le Maroc a une carte à jouer dans ce domaine. Il y a aussi l’ingénierie, ainsi que tout ce qui est recherche et technologie, domaines dans lesquels le gouvernement marocain offre aussi des incitations très attractives pour les entreprises.

Quand vous dites aller plus loin en termes d’ingénierie, à quoi faites-vous précisément allusion ?
Je pense principalement à la conclusion de partenariats avec de nouveaux clients. Nous comptons renforcer nos équipes pour accompagner cet élan. Qu’il s’agisse de MRO, d’ingénierie, et de recherche, ces trois domaines ont en commun le fait qu’ils nécessitent des ressources humaines très qualifiées. Par exemple, les techniciens en MRO doivent avoir une licence délivrée par l’autorité de l’aviation civile, à l’issue d’une formation adaptée très pointue.

Vous travaillez avec des partenaires d’envergure dans l’aviation comme Airbus et Boeing. Y en a-t-il d’autres de ce calibre que vous comptez attirer dans les années ou même les mois à venir ?
Les plus grands avionneurs mondiaux sont en effet les clients et partenaires de notre Groupe. Ici, à partir du Maroc, nous travaillons pour Airbus, Airbus Helicopters et Boeing avec lequel nous avons une joint-venture, MATIS Aerospace. Dassault est d’ailleurs un client important de cette dernière. Capitalisant sur le savoir-faire de nos équipes et notre excellence opérationnelle, nous oeuvrons pour élargir nos relations à d’autres grands constructeurs aéronautiques.

Avez-vous des ambitions pour développer l’activité au niveau de l’aéronautique militaire ?
Nous travaillons exclusivement pour le secteur civil. Pour l’instant, les capacités que nous avons ne sont orientées que sur ce créneau. Mais le moment venu, si des opportunités se présentent, et si nos études de faisabilité concluent favorablement, évidemment, nous mettrons en place les moyens pour lancer une activité de production de matériel de défense dans le respect total des dispositions légales et réglementaires, en particulier après avoir reçu les autorisations requises dans ce domaine.

Quid de vos ambitions à court, moyen et long terme ?
Sur le court terme, nous comptons capitaliser sur les outils de production existants en améliorant la productivité – qui est un élément très important, comme vous pouvez l’imaginer –, et en rationalisant les process. C’est une démarche d’amélioration continue que nous menons sur tous nos sites industriels. Safran mène également un ambitieux projet de transformation digitale dont l’objectif est d’accélérer l’exploitation, à l’échelle du groupe, de tout le potentiel offert par les technologies numériques. Nous voulons stimuler notre performance et notre compétitivité. Ce programme vise à soutenir et accompagner les changements de nos modes de fonctionnement, dans tous les domaines.

Dans une vision moyen et long terme, nous augmentons nos capacités de production pour accompagner l’accroissement de la demande qui est très forte sur tous les équipements. Le trafic aérien ayant repris, globalement, nous sommes revenus au niveau de l’avant-crise de 2019, et nous prévoyons une accélération. Il y a une montée en cadence de la part des avionneurs qui nécessite que nous adaptions nos capacités de production. Donc il y a une nécessité d’augmenter les cadences de fabrication et de travailler sur l’amélioration continue et le développement des compétences de notre capital humain.

Il y a aussi un volet de votre activité qui porte sur l’énergie…
En effet, les énergies renouvelables et la décarbonation sont au cœur de la stratégie de notre groupe. Safran a des objectifs très importants dans ce domaine, notamment la réduction de 30% des émissions de CO2 dès 2025, par rapport à 2018 et de 50% d’ici à 2030. Les sites marocains s’inscrivent pleinement dans la stratégie globale du groupe. C’est dans ce sens que Safran Nacelles Morocco a inauguré en décembre 2022 la première grande centrale photovoltaïque de l’industrie aéronautique au Maroc. C’est une centrale importante, d’une capacité de 1,7 mégawatt, qui couvre actuellement plus de 20% de la consommation annuelle du site et qui nous permet de réaliser une économie de 2.000 tonnes de CO2 par an grâce à l’installation de plus de 3.000 panneaux photovoltaïques. Et nous ne comptons pas nous en arrêter là, puisqu’il y a un projet d’ajout de 1.800 panneaux supplémentaires qui vont nous permettre de couvrir le tiers des besoins en énergie du site de Safran Nacelles Morocco et de réaliser à terme une économie de plus de 3.000 tonnes de CO2 par an. Les autres filiales de Safran sont engagées dans la même voie et leurs projets avancent selon le calendrier prévu.

Comment êtes-vous impliqués dans la formation ?
Nous investissons dans la formation de notre personnel, qu’il s’agisse d’opérateurs, de techniciens, d’ingénieurs. Avec l’aide des autorités marocaines, nous essayons d’augmenter les capacités des institutions de formation dédiées au secteur aéronautique. Pour l’institut des métiers de l’aéronautique, qui est le plus ancien et qui a démarré son activité en 2011, Safran a été un des principaux contributeurs, en détachant notamment un de ses cadres pour diriger l’institut (Patrick Ménager, ndlr). Nous contribuons aussi à la mise au point des programmes – vu que nos salariés bénéficient aussi de cette formation -, pour qu’ils soient vraiment adaptés à nos besoins. En plus de développer l’outil de production, nous accordons donc une importance fondamentale à la formation des talents sur le court, le moyen et le long terme.

Comment la crise covid a-t-elle impacté votre activité ?
Le secteur aéronautique a sans doute été l’un des plus affectés, puisque la crise covid a été marquée notamment par un arrêt total du transport aérien. Nous avons dû adapter nos structures et nos effectifs, mais nous avons considéré dès le départ que c’était une crise conjoncturelle, et que comme toute crise, il fallait la considérer comme une opportunité. Nous n’avons pas arrêté la formation de notre personnel, notamment le personnel spécialisé. Cette crise nous a permis de perfectionner nos outils pour favoriser le télétravail auquel nous avons dû recourir comme beaucoup d’autres secteurs. Au Maroc en général, le secteur aéronautique, avec l’appui des pouvoirs publics, a tenu bon. Il n’y a pas eu de défaillance d’entreprises. Elles ont globalement fait preuve d’une résilience remarquable. Maintenant que nous sommes en phase de reprise, nous rattrapons le retard. Nous comptons bien accélérer notre développement et retrouver, voire dépasser, les rythmes d’avant la crise.

Qu’est-ce qu’il faut pour passer à l’étape supérieure ?
Le GIMAS (Groupement des industries marocaines aéronautiques et spatiales, ndlr) a toujours été animé d’une volonté de développement. Le groupement souhaite que les sociétés du secteur puissent travailler sans à-coup, qu’elles puissent avoir accès rapidement et aux meilleures conditions de prix aux produits dont elles ont besoin comme intrants dans leur processus de production. La crise de la covid a profondément déréglé la chaîne d’approvisionnement mondiale. Évidemment, avec l’arrêt de l’activité, des prestataires et des fournisseurs – souvent des PME – ont été mis en difficulté. Et nous continuons d’en souffrir. Nous avons du mal parfois à obtenir des composants électroniques, ou des pièces mécaniques. C’est pour cette raison que le GIMAS s’emploie actuellement, avec l’appui des autorités marocaines, à favoriser la création et l’établissement de sous-traitants et autres prestataires ici, dans le Royaume, de manière à les rapprocher des acteurs du secteur aéronautique au Maroc et ainsi rendre ces derniers moins vulnérables aux crises et aux dysfonctionnements qui peuvent survenir chez des fournisseurs lointains. Le fait d’avoir une supply chain marocaine solide et diversifiée va être un facteur primordial de développement et de compétitivité pour les industriels de l’aéronautique au Maroc.

Dans cet élan, est-il envisageable de voir bientôt des avions intégralement assemblés au Maroc dans les années à venir ?
Il y a un investissement dans ce sens dans la zone industrielle de Nouaceur, mais on n’en est pas encore à assembler des Airbus A320 ou des Boeing 737. Il s’agit plutôt d’un petit avion d’affaires. C’est déjà un bon début, mais il est tout à fait envisageable d’aller sur des projets plus conséquents à l’avenir. Vous savez, la Chine vient à peine de lancer son avion, le C919, qui est un court-moyen-courrier comme l’A320 d’Airbus. Cela lui a demandé beaucoup d’efforts, d’énergie et de temps.

Quelles étapes nous séparent de cet objectif, selon vous ?
Cela dépendra des moyens qui seront mis en œuvre par le gouvernement. Lancer la construction complète d’un avion est un chantier qui ne saurait aboutir sans le concours de la puissance publique. L’avion C919 développé par COMAC, que je viens de citer, est un projet du gouvernement chinois. Chez Safran, nous allons continuer nos efforts pour développer nos sites existants, et diversifier notre activité. Nous sommes en contact avec les autorités qui nous soutiennent. Nous sommes prêts à étudier toutes les opportunités qui se présentent dans nos domaines de spécialité. Safran est très satisfait de ses investissements au Maroc. Nous avons toutes les raisons d’y rester et de nous y développer.

Darryl Ngomo / Les Inspirations ÉCO


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