Crypto-monnaie au Maroc : mission impossible ?
Après plusieurs années de méfiance à l’égard des crypto-monnaies, les autorités financières marocaines semblent résolues à ouvrir le débat sur ces actifs numériques virtuels détenus par près de 1,15 million de citoyens, selon Triple A, une société spécialisée dans la technologie blockchain.
Bien que leur usage ait été officiellement interdit au Maroc en 2017 par principe de vigilance, les “digital currencies” continuent de faire l’objet d’une popularité croissante auprès des crypto-investisseurs marocains qui placent le Royaume à la 9ème position des pays africains, d’après l’édition 2022 du rapport Triple A relatif à l’adoption des monnaies numériques dans le monde.
Face au recours constant des jeunes investisseurs à ces monnaies virtuelles hautement spéculatives qui présentent de nombreux risques pour les non-avertis, Bank Al-Maghrib a décidé de faire bouger les lignes en engageant la réflexion sur une émission potentielle d’une Monnaie numérique de Banque centrale (MNBC) pilotée par un comité regroupant l’ensemble des parties prenantes.
Alors que la mise en place d’un tel projet suppose de transformer l’usage de la monnaie sous l’effet de la technologie, le Professeur d’économie et de finance à l’Université Mohammed V de Rabat, Hicham Sadok, reste sceptique quant à la réalisation de ce “grand” chantier, toutefois peu réaliste pour des raisons de nature culturelle et structurelle qui interrogent également sur les conséquences sur la stabilité et la politique monétaire. “L’ambition des crypto-monnaies est belle, mais difficile à satisfaire. Treize ans après le lancement du Bitcoin, elles sont très peu acceptées et utilisées pour les paiements.
Le Bitcoin représente moins de 0,1% du volume des transactions dans le monde”, a expliqué M. Sadok, dans un entretien accordé à la MAP, notant que la cause profonde de cette inefficacité réside dans la gestion décentralisée de la monnaie. Pour l’universitaire, qui s’intéresse à la question des crypto-monnaies, celles-ci imposent un processus de validation des transactions lourd, long et coûteux, qui en font des actifs financiers plus que des monnaies.
Cela nous amène à établir le distinguo entre les crypto-monnaies en tant qu’actifs financiers et les monnaies numériques de banque centrale en tant que monnaie numérique légale, a-t-il fait remarquer. Et de rappeler que les crypto-monnaies sont des monnaies privées, sans cours légal, sans aucun adossement physique ou financier et totalement virtuelles, qui se créent, s’échangent et circulent dans l’anonymat, indépendamment de tout régulateur.
Ce sont des objets monétaires nouveaux, sans véritable précédent dans l’histoire. Par contre, la MNBC sur laquelle BAM est supposée travailler est une évolution dans les systèmes de paiement numériques et électroniques avec un objectif ultime de produire de grands gains en termes de transparence, d’efficacité, encourager la contestabilité dans les systèmes de paiement et l’élargissement de l’assiette fiscale, et favoriser l’inclusion financière, a fait observer M. Sadok.
Néanmoins, poursuit l’universitaire, les avantages des MNBC s’accompagnent d’inquiétudes quant au respect des droits et des libertés, auprès de ses adversaires qui estiment qu’elles peuvent potentiellement exacerber la capacité de certains acteurs à abuser de leur pouvoir dans l’examen des paiements et les transactions financières, altérant l’anonymat que l’argent accorde aux citoyens.
Par ailleurs, sur le plan technique et de rentabilité, M. Sadok a souligné le lancement de beaucoup de fonds spécialisés en crypto-monnaies, qui ne prennent pas nécessairement de positions longues sur les crypto-monnaies, mais sont plutôt enclins à exploiter des différences de prix et des opportunités d’arbitrage. Les crypto-monnaies sont donc considérées, chez certains acteurs du marché, comme une nouvelle classe d’actifs permettant la diversification et la recherche d’un meilleur couple rendement-risque, a-t-il mis en lumière, notant qu’elles présentent également une corrélation négative avec certaines classes d’actifs.
Lors du point de presse à l’issue de la deuxième réunion trimestrielle de BAM en juin dernier, le Wali de BAM, Abdellatif Jouahri, avait rendu compte des travaux du Comité dédié qui oeuvre pour la mise en place d’un cadre réglementaire adéquat permettant d’allier innovation, technologie et protection du consommateur.
Par la même occasion, le patron de la Banque centrale a annoncé la promulgation d’un projet de loi visant à réglementer l’usage des crypto-monnaies.
Bien que leur usage soit toléré dans la plupart des systèmes financiers à travers le monde, certains pays, à l’instar de la Chine, interdisent catégoriquement la circulation des crypto-monnaies, tandis que d’autres, y posent uniquement des restrictions. Le Salvador et la Centrafrique sont, pour l’heure, les deux seuls pays à avoir officiellement adopté le Bitcoin comme monnaie d’Etat.