Dans l’enfer des mariages forcés, en photographies
La Grande Arche de la Défense, à Paris, accueille un nouvel espace consacré au photojournalisme. La photoreporter américaine, Stéphanie Sinclair, inaugure ce nouveau lieu d’exposition avec un travail consacré aux mariages forcés à travers le monde. Bouleversant.
Par Olivier Rachet
D’ici 2050, plus d’un milliard de jeunes filles mineures auront été mariées de force, notamment dans les pays en voie de développement. Le chiffre paraît démesuré, la pratique lointaine. Or, nombreux sont les pays à bafouer encore aujourd’hui les droits des enfants, en perpétuant des pratiques matrimoniales d’un autre siècle, réduisant de facto en esclavage des mineures sans défense.
Stéphanie Sinclair est une photographe engagée qui s’intéresse à cette question brûlante depuis une quinzaine d’années. Elle a fondé, à cet effet, l’ONG (Organisation non gouvernementale) « Too Young to Wed » (Mariées trop jeunes), à laquelle est reversée une partie des droits de l’exposition, afin d’informer et de venir en aide à toutes celles qui subissent encore le poids de traditions patriarcales intangibles.
Un tour du monde de l’esclavage moderne
Les différentes photos exposées mettent en avant des pays dans lesquels Stéphanie Sinclair a longuement séjourné. De l’Inde à la Sierra Leone, en passant par le Guatemala, le Népal, le Yémen ou l’Ethiopie, aucun pays ne semble être épargné par ces pratiques d’un autre âge. Plus étonnant est le reportage consacré à une communauté religieuse sectaire d’Amérique du Nord – l’Église des saints des derniers jours – dans laquelle les gourous ont recours à des pratiques polygames avec des mineures. Au niveau fédéral, aucun âge légal n’est ainsi fixé pour le mariage.
Mais ce sont sans doute les victimes du groupe jihadiste Boko Haram, au Nigeria, qui frappent le plus l’attention. Transformées en véritables objets sexuels, ces jeunes filles sont enlevées à leur famille, mutilées parfois, quand elles ne sont pas sauvagement assassinées. La photographe, déjà récompensée par de nombreux prix internationaux, dont le Grand Prix Care obtenu en 2008 pour un travail consacré à l’excision en Indonésie, réveille les consciences des spectateurs les plus endormis et nous rappelle que des mariages forcés ont lieu chaque jour, souvent à proximité de nous.
L’art du photoreportage
Depuis toujours, la question de la frontière entre l’art et le journalisme se pose concernant le photoreportage. Mais dès les premiers regards, ce débat de spécialiste s’estompe pour laisser place à une évidence: la rigueur des cadrages, l’intelligence des angles de vue, l’importance accordée à la lumière, tout contribue à rendre hommage à la fois à la dignité des jeunes filles et à substituer au pathos d’une approche évènementielle, une véritable éthique de photographe reposant sur le respect de la personne humaine et une empathie toujours distante. Rares sont ainsi les gros plans victimaires. « Pas de gros plan, disait le cinéaste Jean-Luc Godard, la souffrance n’est pas une star ». Bien au contraire, Stéphanie Sinclair prend le temps de situer chaque histoire dans le contexte qui est le sien. La beauté des paysages fait souvent ressortir, plus cruellement encore, l’ignominie des mariages forcés.
Le spectateur imagine, grâce à des légendes admirablement documentées, ces nombreux récits de souffrance auxquels donne accès chaque cliché. Comment oublier ces regards attristés ou interrogatifs, ces paysages aussi rudes que les traditions qui y survivent ? Oui, le photojournalisme est bel et bien un art reposant sur une éthique de conviction et un devoir de responsabilité.
Exposition « Too Young To Wed » de Stéphanie Sinclair, Grande Arche de la Défense, à Paris, jusqu’au 24 septembre 2017.