Culture

Le chorégraphe tunisien Radhouane El Meddeb émeut le festival d’Avignon

Avec une nouvelle création intitulée «Face à la mer, pour que les larmes deviennent des éclats de rire», le chorégraphe tunisien explore le drame de l’individuation. Universel.

Par Olivier Rachet

Le plateau du Cloître des Carmes est recouvert d’éclaboussures de peinture blanche dont on ne sait si elles seraient les résidus ou les traces d’une tentative avortée de repeindre en blanc le sol ou de simples déflagrations abstraites arrivant à peine à contenir une rage de tout détruire. En bord de plateau, face au public, une poussière blanche dessine une vague qui pourrait figurer cette mer Méditerranée à laquelle se réfère le titre de la pièce. Un piano noir accompagnera les chants de Mohamed Ali Chebil, entre lyrisme et élégie.

Les danseurs sont au nombre de sept : quatre hommes, trois femmes. Un premier tableau les voit s’avancer sur la scène. Ils se frôlent sans se voir, semblent à peine s’ignorer. Des trajectoires se cherchent, des couloirs se dessinent. Ces êtres semblent faire ici le lent apprentissage de la marche en avant, l’œil souvent rivé au public, comme lorsqu’à l’issue d’un premier chant, tous les danseurs se donneront la main, attendant on ne sait quelle acclamation. La solitude reste de mise et nulle échappée ne permettra aux individus qui le tenteront de se faire la belle.

Devenir un individu à part entière

Pour qui a contemplé la jeunesse nord-africaine – de Tanger à Tunis, en passant par Alger ou Al-Hoceima – les yeux bloqués face à la mer, ce spectacle aura souvent des accents poignants. Pour qui s’intéresse au processus démocratique à l’œuvre en Tunisie, depuis la révolution du printemps arabe, les solos dans lesquels se lanceront trois des danseurs auront le goût amer de la défaite et de l’amertume.

Un premier danseur se démène éperdument, contre on ne sait quoi : ses propres démons, le fardeau des traditions qui l’oppriment. Une deuxième danseuse se débat contre la force d’inertie qui l’environne. Elle tentera tant bien que mal de faire lever le poing de ses camarades de lutte mais les poings retombent toujours. La pesanteur habite le monde. Ne trouverait-on la force de se libérer que dans le vertige des derviches tourneurs ? Toute tentative d’esquisser un pas de côté, de laisser s’épanouir hors de soi l’individu que l’on aimerait construire, face à la mer et face aux murs, semble vouée à l’échec. D’autant plus que les quatre hommes finissent par faire bloc face aux femmes, comme si les traditions résistaient toujours aux secrets désirs d’émancipation.

Un éclat de rire

Et pourtant, il se dégage de ce spectacle envoûtant une légèreté aérienne, une sérénité même. La virtuosité avec laquelle le musicien Jihed Khmiri laisse s’exprimer le désarroi des danseurs n’est sans doute pas pour rien dans l’apaisement que l’on ressent. La pièce se conclut sur des notes d’espièglerie : on se porte sur les épaules, on déstabilise celui qui s’était accoudé au sol, on s’étreint. La lumière du plateau s’éteint sur un timide éclat de rire comme si l’enfance avait encore du mal à entrer de plain-pied dans l’âge adulte. Magnifique !

«Face à la mer, pur que les larmes deviennent des éclats de rire» de Radhouane El Meddeb, Cloître des Carmes, Festival d’Avignon, jusqu’au 25 juillet.

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