Culture

Marrakech: l’expo-photo de Youness Miloudi qui traverse le temps, en pleine avenue Mohammed V

Après avoir présenté ses travaux photographiques dans le cadre de la COP22, le photographe originaire de Fès, expose à Marrakech, hors-les-murs, des œuvres monumentales. Une première série, en noir et blanc, est exposée sur les grilles du jardin Arsat Moulay Abdessalam, sur l’avenue Mohammed V. La seconde série sera visible à l’intérieur du jardin. Youness Miloudi s’entretient avec Le Site info de la portée ethnographique et politique de son travail.

Propos recueillis par Olivier Rachet

Le Siteinfo : Vous vous présentez comme un photographe autodidacte. Comment vous est venue la passion de la photographie ? Pourquoi avoir opté pour une approche ethnographique ?

Youness Miloudi : J’ai toujours été fasciné par l’image et le film noir en particulier, j’aurais voulu faire des études cinématographiques mais hélas la vie m’a emmené vers d’autres horizons. Après mon baccalauréat, je suis parti en France où j’ai suivi des études en ingénierie, en parallèle j’enchaînais des petits boulots pendant les périodes de vacances pour pouvoir m’offrir mon premier appareil photo.

Au début, ma pratique de la photographie était beaucoup plus large : je m’intéressais à tout, de l’évènementiel à la photo de studio en passant par des collaborations avec des artistes de différentes disciplines, avant de m’orienter par la suite vers la photographie documentaire et ethnographique grâce aux voyages, notamment mon premier voyage en Inde qui a pas mal bousculé ma route et ma perception du monde.

Le Siteinfo : Vos travaux sont, en effet, le fruit des nombreux voyages effectués à travers le monde, de l’Asie à l’Afrique en passant par l’Amérique. Voyagez-vous seul ? Comment entrez-vous en contact avec les tribus que vous photographiez ?

Youness Miloudi : En réalité nous sommes deux, je suis mon meilleur ami sur la route ! Oui je voyage seul et c’est important pour moi, cela me permet de me connecter avec moi-même d’abord, ensuite d’aller vers l’autre beaucoup plus facilement.

Il y a toute une partie de documentation en amont qui consiste à croiser les différentes approches d’anthropologues et ethnologues tout en restant neutre pour laisser de la place au hasard et aux rencontres. Une fois sur place j’arrive toujours à me débrouiller pour entrer en contact avec les bonnes personnes, cela fait partie de mon job aussi.

Le Siteinfo : On imagine qu’il est indispensable de tisser de solides liens avec vos modèles. Acceptent-ils volontiers d’être pris en photo ? Vous demandent-ils parfois une contrepartie, notamment financière ?

Youness Miloudi : En général je ne sors jamais mon appareil lors du premier contact voire pendant plusieurs jours s’il le faut, car il est important pour moi de tisser des liens avec les personnes qui m’accueillent, comprendre leur mode de vie et ainsi obtenir leur confiance, le reste vient naturellement…

Pour les contreparties, cela arrive, bien évidemment, je ne suis pas le premier ni le dernier étranger qu’ils rencontrent. Malheureusement certaines tribus ont développé un mauvais rapport avec l’argent à cause d’un tourisme de masse sans éthique, cela dit entre eux ils pratiquent encore le troc. Je fais de mon mieux pour rester sur ce principe et leur donner ainsi ce dont ils ont besoin, car après tout il est normal que je leur donne quelque chose en contrepartie.

Le Siteinfo : La plupart des tribus auxquelles vous vous intéressez vivent en autarcie. Les Mentawai d’Indonésie sont, par exemple, l’un des derniers peuples chasseurs-cueilleurs de la planète. Au-delà d’une volonté d’immortaliser des pratiques de vie en train de disparaître inéluctablement, pensez-vous que les spectateurs vivant dans des pays émergents ou industrialisés ont encore à apprendre de ces contrées lointaines ?

Youness Miloudi : Je pense que nous avons toujours besoin d’apprendre de l’autre et de la différence culturelle, ne serait-ce que pour nous rappeler que nos ancêtres sont passés par là et que nous n’avons pas besoin de beaucoup de choses dans la vie, car les choses qu’on possède finissent par nous posséder. Enfin je crois profondément que la sobriété est un élément clé du bonheur, mais libre à chacun de choisir sa voie.

Le Siteinfo : Vous semblez vous intéresser à des croyances ancestrales telles que le chamanisme des amérindiens Boras d’Amazonie ou à l’animisme d’autres peuples. Vos différentes rencontres ont-elles eu un impact sur vos propres croyances ou pensées ?

Younès Miloudi : Disons que ces rencontres m’ont ouvert les yeux sur notre monde avec sa diversité spirituelle et socio-culturelle !

Le Siteinfo : Pouvez-vous nous présenter les différentes séries d’où sont tirées les photos que vous exposez à Marrakech ?

Youness Miloudi : Dans cette exposition, j’ai choisi de présenter deux sujets, dont le principal est un extrait d’un projet intitulé Last Tribes que j’ai démarré il y a 7 ans, et qui traite de la problématique environnementale et son impact sur l’homme. Cette série de portraits documentaires est exposée en grand format sur les remparts de la ville. Le deuxième sujet exposé sur les grilles extérieures est quant à lui une invitation au voyage à travers des scènes de la vie ordinaire et des portraits d’ailleurs.

Le Siteinfo : Votre démarche artistique se situe dans la filiation de la photographie humaniste, ayant acquis ses lettres de noblesse au lendemain de la seconde guerre mondiale. Qu’est-ce qui différencie votre approche du photo-reportage ou du documentaire ?

Youness Miloudi : En général, je n’aime pas l’appartenance et encore moins dans mon champ de liberté, c’est pourquoi je n’arrive pas à me ranger dans une seule case. La photographie est un moyen d’expression comme d’autres, elle me permet de libérer ma sensibilité en témoignant de la mémoire des personnes que je rencontre, à travers des portraits documentaires et des histoires poétiques par l’image.­­

Mais pour répondre à la question, je pense que mon travail est en effet une frontière entre le documentaire et la photo humaniste­­ qui avait un intérêt pour l’être humain dans sa vie quotidienne. Je suis par exemple impuissant devant les images en N&B de Sebastião Salgado et de son engagement, comme je suis émerveillé par les œuvres en couleur de Reza ou Steve McCurry, pour citer les plus populaires.

Le Siteinfo : Ce qui frappe dans votre photographie, au-delà du regard humaniste porté sur ces tribus, est aussi la magnificence des paysages mis en scène. On imagine pourtant que les conditions de vie de ces peuples ne sont pas exemptes de difficultés. Avez-vous rencontré une forme de misère ou les peuples que vous avez côtoyés vivent-ils en parfaite harmonie avec la nature ?

Youness Miloudi : Tout dépend de notre perception de la misère, en effet nous avons été programmés pour une vision conformiste et idéale de la société, ce qui reste ordinaire pour certains est extraordinaire pour d’autres.

Si les conditions de vie se sont dégradées pour ces tribus, c’est quelque part à cause de nous, à cause des pays industrialisés obsédés par le progrès et la croissance, nous participons d’une manière inconsciente à la destruction de notre planète par la consommation abusive et le partage inéquitable de la richesse.

Ces tribus primitives sont les premières à être impactées par le dérèglement climatique, que ce soit les inondations dans les zones tropicales ou le manque d’eau dans les régions arides. Elles sont menacées par des tentatives d’expropriation de leurs terres par les gouvernements et les entreprises privées mais aussi par le tourisme de masse.

Le Siteinfo : En exposant hors-les-murs, vous faites le pari d’aller à la rencontre du public marocain et par là-même de démocratiser l’art. A-t-il été aisé d’organiser cette exposition en plein air ? Pourquoi est-il, selon vous, important de s’adresser à un large public ?

Y.Miloudi : A vrai dire l’idée de ce projet murmure en moi depuis longtemps, et le faire au Maroc est plus que symbolique pour moi.

Je suis un partisan de l’investissement des espaces publics, j’ai toujours privilégié des canaux alternatifs pour partager mes photos, en exposant du contenu pas forcément attendu et qui s’entend, hors des cadres de la permission institutionnelle.

C’est une alternative à l’art des musées et des grandes galeries, réservé à une élite ou conditionné par des critères esthétiques complexes qui effrayent le grand public. D’autant plus que ces espaces ne sont souvent pas libres d’accès et qu’ils sont l’objet de règlementations et, comme tels, inévitablement soumis à un réseau de contraintes en tous genres.

En effet, les espaces publics sont des lieux de vie à part entière et l’art est un élément essentiel à la vie, à l’enrichissement personnel et au vivre-ensemble. J’ai voulu y contribuer à mon tour afin d’interroger les passants sur notre perception du monde, ainsi inscrire l’art public dans une logique politique, dans la perspective de ce que l’on pourrait appeler une « muséographie du dehors ».

Pour revenir à la question de la faisabilité, non ça n’a pas été simple du tout, plus que six mois de travail et plusieurs allers/retours, pour obtenir le lieu et les autorisations de la ville, à cela s’ajoutent la production, la logistique et la direction artistique.

Ce qui est désolant, ce n’est pas le problème de financement mais plutôt le manque de compétence, nous ne pouvons pas prétendre vouloir le changement sans mettre les bonnes personnes au bon endroit.

Le Siteinfo : Avez-vous bénéficié d’une aide quelconque pour vous aider à réaliser ce projet inédit ?

Youness Miloudi : Pour vous faire une confidence, j’ai réalisé ce projet avec mes propres économies car aucune institution ni mécène n’y ont cru. Et comme je n’aime pas revenir en-arrière, j’ai décidé donc d’aller au bout de ce projet.

Le Siteinfo : Le Maroc dont vous êtes originaire est un pays traversant de multiples mutations. Envisagez-vous de photographier des pratiques ou des usages en voie d’extinction ? Quels sont vos projets à venir ?

 Youness Miloudi : En effet, je n’ai pas encore travaillé sur un projet au Maroc mais ça ne doit pas tarder, promis ! Cette absence ne fait que renforcer les choses. Nous avons parfois besoin de nous éloigner pour revenir plus riches spirituellement.

O.R.

Exposition hors-les-murs de Youness Miloudi, Jardin Arsat Moulay Abdessalam, Avenue Mohammed V, Marrakech, jusqu’au 30 avril 2017. 

©DR
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