Tout savoir sur le festival Masnaâ de Casa (interview)
par Olivier Rachet
David Ruffel, professeur de lettres, directeur de collection aux éditions Verdier, qui a récemment republié L’Hôpital de Ahmed Bouanani, est le principal organisateur du festival international Masnaâ qui se tient du 9 au 16 mai à Casablanca. Au programme: arts visuels, cinéma, performances de danse, de théâtre, de musique, atelier BD…
Le festival Masnaâ présente sa quatrième édition du 9 au 16 mai, à Casablanca. Pouvez-vous revenir sur les origines de ce festival et sur la collaboration que vous avez tissée avec l’Espace Darja et l’atelier de La Source du Lion, à Casablanca ?
Le projet du festival Masnaâ consistait, dès l’origine, à développer une manifestation internationale centrée sur les pratiques artistiques contemporaines, en prenant appui sur la scène casablancaise, sur des invitations d’artistes étrangers et sur des structures indépendantes non institutionnelles.
Masnaâ est aujourd’hui porté par deux associations, l’une française, L’école de littérature, l’autre marocaine, Association Masnaâ.
La Source du Lion et l’Espace Darja ont été les premiers partenaires et complices du festival. Ils m’ont aidé à le monter en l’accueillant dans leurs espaces et en collaborant à la programmation des deux premières éditions.
Nous avons ensuite conçu ensemble le projet de la troisième édition, autour de la remarquable maquette de l’artiste marocain Hassan Darsi, Le square d’en bas.
Nos liens d’amitié et de travail sont profonds et sur le long terme. Ce sont des amitiés aussi fortes qu’exigeantes. Il n’y a pas de complaisance quand nous travaillons ensemble, c’est essentiel. J’ai conçu, en mars dernier, à l’invitation de Meryem Jazouli de l’Espace Darja et avec elle, la première édition de Carambolage (danse et littérature) et nous avons d’autres projets.
Cette année, le réalisateur tunisien Ismaël est artiste associé du festival. Comment ce choix s’est-il imposé à vous ?
J’avais invité Ismaël une première fois en 2013, pour la deuxième édition du festival, avec un autre réalisateur tunisien, Ala Eddine Slim et le musicien Zied Meddeb Hamrouni. Ils avaient présenté leur film documentaire Babylon (primé au FID de Marseille en 2013), sous la forme d’un ciné-concert.
Ismaël est un excellent artiste dont vous pourrez voir le travail dans l’exposition Intention à la Galerie Venise Cadre et à La Source du Lion, pendant le festival. C’est un artiste exemplaire de sa génération : il est à la fois cinéaste, mais aussi artiste et auteur. Ses différents travaux (films, vidéos, photos, textes, installations…) ont été diffusés à New-York, Marseille, Londres, Mexico, Paris et Tunis bien sûr.
De 2004 à 2012, il a cofondé plusieurs collectifs et associations de cinéastes, d’artistes et de poètes (comme le collectif Politiques). Il est souvent appelé en Europe ou en Tunisie pour proposer des programmations cinéma. C’est donc quelqu’un dont le travail personnel s’inscrit dans une réflexion large et dans une conception collective de la création.
En l’invitant, l’objectif n’était donc pas de présenter à Casablanca un panorama de la création contemporaine tunisienne, mais d’inviter un réseau d’artistes avec lesquels ismaël travaille depuis plusieurs années et qui ont diverses choses en commun. En effet, ce sont des artistes nés dans les années 1980, qui ont commencé à produire avant la révolution de 2011 et ont participé à divers titres à cette révolution. Ils n’appartiennent pas au mainstream de l’art, tout en ayant aujourd’hui une dimension internationale. Ils entretiennent un rapport très contemporain et très radical à la culture de l’image, à la culture numérique. Leur travail est souvent politique et critique à l’égard du champ de l’art ou de la société.
Il s’agissait donc d’inviter ce réseau d’artistes et de les faire collaborer avec des artistes marocains et casablancais de la même génération. Ils se connaissent souvent et partagent des préoccupations et des modes opératoires proches. Le but était de faire se rencontrer deux scènes artistiques indépendantes du Maghreb, de réunir une quarantaine d’artistes en tout, dans les domaines des arts visuels, du cinéma, de la musique et de la performance.
Le programme que vous proposez comporte à la fois des expositions, des performances et de nombreuses projections. Proposerez-vous, comme les années précédentes, des ateliers d’écriture ou de recherche ?
Nous proposons cette année un seul atelier de création, un atelier BD intitulé 2061-Maghreb SF. Il sera conduit à L’Uzine par Abir Gasmi et Moez Tabia du magazine tunisien Lab619 (prix du meilleur magazine BD du monde arabe au festival Cairo Comix en 2015).
Participeront notamment à cet atelier la dessinatrice et artiste casablancaise Zineb Benjelloun et de jeunes artistes et BDistes de la ville.
Un seul atelier cette année, mais une programmation ambitieuse avec notamment la production de 6 expositions, ce qui est une chose nouvelle pour le festival.
Nous présentons en particulier une exposition collective d’envergure à GVCC (Galerie Venise Cadre) réunissant 10 artistes tunisiens et marocains.
Auront lieu également deux expositions solos de Said Afifi (Maroc), à l’Institut français de Casablanca et d’Anna Raimondo (Italie) à Thinkart.
Une exposition du premier roman graphique du réalisateur et écrivain casablancais Hicham Lasri sera présentée à La Parallèle.
Une exposition du photographe tunisien Fakhri El Ghezal qui réalisera une série sur le quartier d’Aïn Sbaâ et une exposition de planches du magazine Lab 619 seront proposées à L’Uzine. Toutes ces expositions, dont les vernissages auront lieu durant la semaine du festival, se prolongeront jusqu’à début juin.
Nous proposons aussi une riche programmation cinéma, centrée sur des films marocain et tunisien contemporains, avec des projections en présence des réalisateurs.
Par exemple le 10 mai à l’IFC, avec l’excellent Révolution moins 5 minutes de Ridha Tlili, qui filme un collectif de graffeurs à Tunis, dans les mois qui suivent la révolution ou les premiers films, et là encore passionnants, de deux artistes plasticiens, Foyer d’Ismail Bahri (Tunisie) et Une vie mineure de Simohammed Fettaka (Maroc).
Une programmation de courts-métrages est proposée à Darja et à L’Uzine et la projection en avant-première en salle au Maroc du dernier film d’Hicham Lasri, Starve your dog au Cinéma Ritz, précédé du très bon Bidoun 2 de Jilani Saadi (Tunisie).
Il y aura aussi de nombreuses performances dans les domaines de la danse, de la musique et du théâtre, toutes de grande qualité, auxquelles on pourra assister à l’Espace Darja, à l’IFC ou à L’Uzine.
C’est enfin une programmation électro et clubbing importante pour nous cette année : la scène électro tunisienne est une des plus passionnantes du monde arabe, d’où une série de trois soirées intitulées A World Full of Bass, en référence au premier collectif de musique électro de Tunis, réunissant des DJ et des musiciens tunisiens et marocains, mais aussi un Showcase du label tunisien Infinite Tapes et des performances live à GVCC et à l’IFC de DVSN et Shinigami San, à ne pas rater !
Pour clore le festival, le dernier film d’Hicham Lasri, Starve your dog, sera projeté le dimanche 15 mai, au cinéma Ritz. Pouvez-vous nous dire l’importance que revêt, à vos yeux, ce jeune et talentueux réalisateur ?
Outre le fait que j’aime le propos et l’esthétique d’Hicham Lasri, j’ai un grand respect et une vraie admiration pour ce qu’il accomplit en tant qu’artiste : de manière très discrète et en marge de l’agitation médiatique et culturelle, il construit film après film, livre après livre, une œuvre.
C’est à mes yeux un vrai artiste ! Construire cette œuvre n’est en rien égoïste : elle élargit à chaque nouvel opus le territoire de ce qu’il est possible de faire artistiquement au Maroc, elle donne collectivement plus de liberté aux spectateurs et aux lecteurs. Je pense qu’on s’en rendra vraiment compte plus tard. Aujourd’hui, il y a encore pas mal de jalousie, de mesquinerie… J’entends parfois qu’on lui reproche de faire des films pour les festivals étrangers, d’obtenir des prix et de ne pas se soucier du public marocain. Mais c’est le prix de sa liberté ! Et cette liberté artistique est la chose la plus importante.
Qui parle aujourd’hui dans le cinéma marocain de l’histoire du XX° siècle du Maroc ? Dans Starve your dog, par exemple, Lasri imagine le retour de Driss Basri. Dans ses autres films, il raconte les années 80, 90, sous Hassan II. Qui a aujourd’hui ce souci de l’Histoire marocaine, combiné à cette liberté artistique?
Pour ma part, je suis heureux d’accompagner son travail littéraire, puisque j’ai eu la chance éditer son dernier roman, Sainte Rita, pour les éditions Le Fennec et qu’il réalise son premier roman graphique Diabolus ex machina à l’occasion de MASNAÂ # 4. Sainte Rita a été, je crois, assez peu lu, mal compris, souvent critiqué, alors même que c’est un geste littéraire tout à fait singulier. Mais ça n’a aucune importance. Ça restera ! Layla Chaouni, son éditrice aux éditions Le Fennec, que je respecte aussi beaucoup, ne s’y est pas trompée en recevant ce texte comme un cadeau et en s’engageant immédiatement dans sa publication, comme dans celle du futur Diabolus ex machina.