Culture

L’étoffe des songes: l’exposition-évènement d’Abdoulaye Konaté à Casablanca

Fruit de nombreux séjours au Maroc, en particulier dans la ville de Fès où il a rencontré des maîtres tisserands, l’exposition que la Galerie 38 de Casa et la Fondation CDG de Rabat consacrent au plasticien malien, à la renommée internationale, fera date. La curatrice de l’exposition, Armelle Dakouo, répond au Siteinfo.

Propos recueillis par Olivier Rachet

Le Siteinfo: Abdoulaye Konaté expose pour la première fois au Maroc. Pouvez-vous nous présenter l’artiste ainsi que son travail ?

Armelle Dakouo : Abdoulaye Konaté compose avec un héritage traditionnel malien, africain mais surtout universel. Dès son adolescence, Abdoulaye Konaté s’intéresse aux techniques traditionnelles des artisans et côtoie les tisserands.

Le bazin, tissu traditionnel malien, est teinté avec des pigments dont il joue des nuances pour orchestrer une véritable symphonie de couleurs. Il compose avec des languettes de bazin qui, mises bout à bout et superposées, donneront des œuvres magistrales entre peinture, sculpture et installation.

Deux grandes lignes de force traversent son travail. Une première, consciente et engagée, aborde différentes thématiques liées à la société contemporaine et à la condition humaine, avec une vision critique des enjeux sociopolitiques. Une deuxième, purement plastique et esthétique, le pousse à s’interroger sur l’analyse des rapports entre les couleurs, associant modernisme occidental et symbolique africaine.

Le Siteinfo: Les œuvres exposées ont toutes été créées dans le cadre d’une résidence d’artiste dans la ville de Fès. En quoi la rencontre avec Haj Abdelkader Ouazzani, le dernier maître du brocart, fut-elle, entre autres, déterminante ?

Armelle Dakouo : Abdoulaye Konaté crée un dialogue avec des artisans tisserands de Fès dont il admire les techniques traditionnelles. Le dialogue avec les étoffes de soie, le brocart, les broderies ou le tissage de la plus pure tradition de Fès s’inscrit dans la continuité de son travail mené avec les artisans. Il rencontre un grand maître du brocart au Maroc, le maalem el Hadj El Ouazzani. Sa maîtrise d’une technique ancestrale parfaite et d’une rare qualité le fascine. De ces échanges naîtront ses compositions inédites incrustées de brocarts et broderies traditionnelles fassi.

Le Siteinfo: Plusieurs compositions rendent aussi explicitement hommage à la ville. Selon vous, que représente Fès pour l’artiste malien ?

Armelle Dakouo : C’est une ville chargée d’histoire, au savoir ancestral et qui concentre des maîtres en leur matière, des maalems de toutes les spécialités traditionnelles marocaines. Abdoulaye Konaté est très sensible à la technique, au savoir-faire, à sa maîtrise et à la transmission. Fès est magique pour tout cela, cette ville l’a vraiment enchanté.

Le Siteinfo: Konaté est un artiste à la stature internationale. Cette exposition s’adresse-t-elle davantage au marché de l’art qu’au public marocain ?
Armelle Dakouo : Cette exposition s’adresse à tout public de toute nationalité, la lecture de ses œuvres est instantanée et leur beauté ne s’arrête pas aux frontières marocaines ou africaines. Elle est universelle.

L’enjeu est aussi de participer à favoriser un marché sur le continent, que les collectionneurs n’aient pas forcément besoin de se rendre en Europe pour acheter des artistes majeurs, confirmés ou émergents du continent. Car beaucoup de grands noms de la création contemporaine africaine sont représentés par des galeries en Europe ou aux Etats-Unis.

Peut-être que cela amènera à faire venir les collectionneurs internationaux ici, c’est cela un marché. L’avantage du Maroc est que son positionnement géographique et économique favorise tout cela.

Il est aussi primordial de rendre visible la création contemporaine en Afrique au moment où tous ont les yeux braqués sur notre création contemporaine. Elle est désormais incontournable et intégrée dans un marché global et international.

Le Siteinfo: Le travail de Konaté peut revêtir des formes aussi bien figuratives qu’abstraites. Rares sont les motifs dans les pièces exposées, en-dehors de celui du papillon. L’artiste y voit souvent la fragilité du processus des indépendances, en Afrique. Pouvez-vous expliciter cette analogie ?

Armelle Dakouo : Le papillon a été présenté à la biennale internationale d’Irlande, EVA, en 2016. Elle avait pour thème la condition postcoloniale de l’Irlande sous le commissariat de Koyo Kouoh. Abdoulaye y a présenté deux papillons en résonance avec le cinquantenaire des indépendances d’une partie des pays d’Afrique et la fragilité dans laquelle certains se trouvent encore. La fragilité des ailes mais aussi la beauté et la métamorphose que le papillon peut symboliser sont autant un regard critique qu’une vision d’espoir tournée vers l’avenir.

Le Siteinfo: Dans le catalogue de l’exposition, Ilham Tahri écrit que « le bazin (tissu utilisé par l’artiste) est par essence une œuvre collective ». De fait, Abdoulaye Konaté collabore avec des tisserands, des teinturiers. En quoi réside la singularité de cette approche collaborative ? Voyez-vous une portée politique à ce geste ?

Armelle Dakouo : Abdoulaye Konaté côtoie les tisserands et les teinturiers depuis son adolescence. Lorsqu’il est revenu au textile dans les années 90, il s’est réapproprié une technique traditionnelle qu’il maîtrisait déjà. Il effectue un travail très poussé sur les nuances de couleurs, une étude approfondie des pigments et utilise des matériaux propres au Mali qui facilitent toute cette recherche. Je n’y vois pas une portée politique mais plutôt une façon intelligente de travailler avec son temps tout en gardant une filiation avec un héritage traditionnel riche de sens et ayant une portée universelle.

Le Siteinfo: Pouvez-vous nous confirmer que le public rbati pourra, lui aussi, admirer ces toiles monumentales dans les semaines qui viennent ?

Armelle Dakouo : Oui un deuxième volet de l’exposition L’étoffe des songes est présenté dès cette semaine à partir du mardi 28 mars à la Fondation CDG dans le cadre de l’évènement L’Afrique en Capitale.

Exposition L’étoffe des songes à la Galerie 38 de Casablanca jusqu’au 17 avril, à la Fondation CDG de Rabat du 29 mars au 30 avril.

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©Sébastien Rieussec

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