Paris: Le Maroc en force à l’Institut des Cultures d’Islam (PHOTOS)
Organisée par l’Institut des Cultures d’Islam, situé en plein cœur du quartier de la Goutte d’Or, à Paris, l’exposition Sacrées graines est l’occasion de redécouvrir des artistes talentueux, dont beaucoup sont originaires du Maroc.
Par Olivier Rachet
L’Institut des Cultures d’Islam (ICI) est un établissement culturel de la ville de Paris, apparu en 2006. A la fois centre d’art contemporain et lieu culturel interdisciplinaire dont la programmation comporte aussi bien des débats, des concerts que des projections, cet espace est aussi un centre de formation, proposant des cours de langue et différents ateliers. En 2013, l’institut, situé rue Léon dans le 18e arrondissement, s’est agrandi avec l’ouverture d’un second espace, situé quelques rues plus loin, au 56 rue Stephenson, au cœur du quartier populaire de la Goutte d’Or.
L’ICI accueille, dans ces deux lieux, jusqu’au 15 janvier, une exposition atypique consacrée au motif de la graine. On songe bien évidemment au blé, ingrédient indispensable aussi bien à la fabrication du pain qu’à la préparation du couscous, plat traditionnel s’il en est, devenu en France un plat national. S’intéresser aux graines revient ainsi à aborder des problématiques politiques que les commissaires de l’exposition, Elsa Blanc et David Régnier, mettent justement en avant : « Utiliser la graine, notent-ils dans le catalogue, c’est aussi poser en filigrane un certain nombre de questions : celles de l’exil, de l’immigration, de la transmission et du partage, de la vie domestique et des rapports de genre, de la mondialisation aussi. »
Un ingrédient fortement connoté
Mettre en scène les graines revient à interroger la répartition traditionnelle des tâches, au sein de la famille mais aussi de la société. Originaire du Liban, l’artiste plasticienne Ninar Esber propose avec La bonne graine une série photographique, fruit d’une performance ayant consisté, pendant six jours, à trier une tonne de grains de maïs. Cette séparation des bons grains de l’ivraie constitue une réflexion doublement intéressante sur la répétition mécanique propre à de nombreuses activités professionnelles et sur l’incapacité de nombreuses sociétés à penser en termes de mixité et d’échanges culturels.
De son côté, Zoulikha Bouabdellah, résidant à Casablanca, détourne le motif sculptural bien connu des « singes de la sagesse », pour proposer une série de trois photographies dans lesquelles un couscoussier sert à dissimuler tour à tour les oreilles, la bouche et le regard. Intitulé Ni, ni, ni, ce triptyque invite à réfléchir à la force des déterminismes sociaux et identitaires.
Originaire de Tétouan, Younès Rahmoun propose, de son côté, une installation, sous forme de diptyque, composée de deux pièces, intitulées Baydaq, « le pion », et Loqma, « la boulette ». La première évoque de façon métonymique le lieu de sociabilité par excellence des pays arabes, le café traditionnellement dévolu aux seuls hommes. La seconde rappelle, quant à elle, l’espace de la cuisine, habituellement associé aux seules femmes. Comme l’analysent avec justesse les auteurs du catalogue, le cloisonnement de l’univers masculin s’oppose à « la fluidité et la proximité qui règnent dans le cercle féminin ».
Ymane Fakhir, née à Casablanca et séjournant désormais à Marseille, propose avec Handmade une installation composée de cinq vidéos dans lesquelles l’artiste filme, en plan fixe, les mains de sa grand-mère, confectionnant différents plats. Projetées pour l’occasion dans le hammam de l’institut, ces vidéos rappellent combien les aliments et les plats traditionnels constituent les plus intimes réminiscences de nos enfances respectives.
La politique n’est jamais loin
Aborder l’espace sacré de l’intime, c’est aussi se permettre de naviguer dans les eaux troubles du collectif et du politique. Laurent Mareschal propose ainsi une installation étonnante invitant le spectateur à réfléchir au conflit israélo-palestinien. Intitulée Beiti, désignant aussi bien en arabe qu’en hébreu « ma maison », l’installation se présente sous la forme d’un immense motif décoratif à même le sol, composé de différentes épices. Si les motifs rappellent les zelliges, la fragilité de l’œuvre souligne la vulnérabilité du processus de paix entre deux peuples se disputant le même territoire.
Jean-Luc Moulène enfonce le clou, en exposant dans une série intitulée Documents / Produits de Palestine toute une série de denrées alimentaires fabriquées en Palestine : quand l’art contemporain rend visible l’invisible, pour reprendre les mots du peintre Paul Klee. Mais c’est peut-être l’installation de Mehdi-Georges Lahlou, The Hourglasses, qui incite le plus à la rêverie et à la réflexion. Composée de cinq sabliers dans lesquels s’écoulent des graines de semoule, l’artiste arrive à nous rendre sensible le temps qui s’écoule entre chacune des cinq prières de l’islam. Comme l’écrit justement la critique d’art Marie Moignard, on explore ici « le temps de la matière. Matière industrielle, d’habitude travaillée à la main, elle s’envisage ici comme unité temporelle de la pensée. » Prenons-en de la graine !