La plage de Aïn Diab s’expose à Paris (photos)
La Galerie Mathias Coullaud, située dans le 3e arrondissement parisien, vient de consacrer une exposition à l’artiste Zoulikha Bouabdellah, résidant à Casablanca. Elle y aborde, sans détour, la question du désir féminin.
Par Olivier Rachet
Après avoir grandi en Algérie et vécu en France, Zoulikha Bouabdellah s’est installée à Casablanca d’où semble avoir germé le projet d’une exposition entièrement consacrée au désir féminin. « Je me revendique du deuxième sexe, un sexe libre-penseur qui a su revendiquer sa place, défier les codes et les règles de son époque et qui, constamment balancé entre le dominant et le dominé, redéfinit les choses de manière perpétuelle », explique-t-elle en exergue de l’exposition.
A la fois vidéaste, photographe et dessinatrice, l’artiste choisit de s’adresser, dans une longue lettre, à l’attrait qu’exerce sur elle le corps tout en domination virile de l’homme arabe, telle qu’elle le perçoit, dans sa vie quotidienne. Le désir est un flux qui circule entre les corps mais se heurte à différentes stratégies d’empêchement. ZoulikhaBouabdellah constate d’abord cette dissymétrie entre les hommes et les femmes :
« Tu es beau, je te regarde te pavaner dans ta robe blanche qui se joue de la pudeur, laissant entrevoir les reflets du soleil entre tes jambes. La broderie au fil entrelacé accompagne le dessin de ton cou avec élégance et raconte une possible douceur. C’est comme cela que je te perçois quand je pense à toi. Mais comment puis-je dire que cela m’arrive de penser à toi ? »
L’amour est un fait d’arme
Cette lettre bouleversante qui ouvre l’exposition dit assez bien la force des représentations. « L’amour est un fait d’arme, chez nous, les Arabes. C’est écrit dans le mot lui-même (hobb). Il dit l’amour mais tranche les cœurs avec sa dernière lettre (…) ». Une dizaine de dessins à l’encre de Chine, tirés de la série « Chasteté de Joseph » revient ainsi sur un épisode biblique présenté comme fondateur. La femme de Putiphar, un officier de Pharaon, demande au prophète de coucher avec lui. Il refuse. Elle l’accusera alors d’avoir tenté de la violer. Le récit biblique omet de mentionner le nom de cette femme, Zouleikha, qui inspira néanmoins de nombreux artistes tels que Rembrandt ou Tintoret.
Ces dessins en forme de dentelle rendent ainsi hommage à une figure féminine que la tradition n’a eu de cesse de diaboliser. Le désir féminin, étant avec la Genèse, le péché originel qui structure les trois religions monothéistes. « Lettre d’amour à un homme arabe » clame pourtant haut et fort l’innocence du désir féminin. Une installation vidéo le consacre de façon sublime.
Les hommes de la plage
Zoulikha Bouabdellah s’est rendue sur la plage d’Aïn Diab de Casablanca, à la tombée du jour. Des dizaines de jeunes hommes casablancais s’y adonnent alors à des séances d’entraînement où les taquineries le disputent au plaisir ostentatoire de la mise en scène de soi. Des plans fixes voient se superposer les corps masculins devenus insaisissables. De leur côté, les reflets du soleil couchant sont magnifiés par un noir et blanc de toute beauté.
Des enfants creusent la terre pour y poser les fondations d’un château de sable. Au loin, des corps accompagnent la montée euphorique des vagues. Sur la plage, une imperceptible chorégraphie se dessine, faite de figures imposées ou de lents corps-à-corps. La sensualité avec laquelle s’orchestrent tous ces mouvements ne semble s’adresser qu’à un œil extérieur, en l’occurrence ici le regard subjectif d’une caméra amoureuse. Jamais le désir féminin pour un homme arabe n’aura été abordé avec autant de délicatesse et d’indicible frustration. Le désir, écrit Philippe Sollers dans La Guerre du Goût : « un projet de contre-société permanent ».
O.R.
