Prix Grand Atlas: Le Cahier de Zahir, premier roman de Réda Sadiki
Le 13 octobre dernier, a été remis à Réda Sadiki le prix Grand Atlas, dans la catégorie « Fiction francophone ». Le roman raconte le destin d’un jeune homme, originaire de Fkih Ben Salah, dans le centre du Maroc. Rêvant d’immigrer en Italie, le protagoniste saisit l’opportunité de travailler, comme concierge, dans une résidence du quartier de l’Agdal, à Rabat. Sa vie en sera tragiquement bouleversée.
Par Olivier Rachet
Le romancier opte, avec bonheur, pour la forme du journal intime afin de nous raconter les vicissitudes d’une existence, placée entre un déterminisme social irréductible et une pulsion de vie à toute épreuve. Dès les premières pages, le protagoniste revient, non sans ironie, sur le sens du prénom qui est le sien, en nous rappelant que Zahir « vient de « zhar » qui veut dire « chance », en arabe. Or, si le personnage obtient un baccalauréat, la pauvreté qui est celle de sa famille l’empêche de poursuivre des études. C’est guidé par le désir de s’exiler en Italie qu’il accepte de se rendre à Rabat, pour économiser le pécule qui lui permettra d’accomplir son rêve.
Sa vie est laborieuse mais très vite, les rencontres d’un garçon de café, prénommé Brahim et de Youssef, apprenti serrurier, vont l’aider à surmonter la monotonie du quotidien. Une amitié se noue entre ces trois personnages, faite de beuveries et d’errances, dans une ville où l’argent semble couler à flots, pour certains. « Quelle liberté avons-nous, nous qui sommes de fait prisonniers d’un pays, d’une culture, d’une classe sociale? » résume Youssef, avec une lucidité non dépourvue de désenchantement.
L’immeuble dans lequel Zahir officie, occupant un minuscule studio, au rez-de-chaussée, voit coexister des étudiants en médecine et des prostituées que semble lier une même soif d’ascension sociale. Le protagoniste se prendra notamment d’affection pour une jeune fille, prénommée Mounia, qui, tel le personnage de Vautrin dans les romans de Balzac, lui expliquera comment se glisser, comme une peste, dans la société : « Regarde autour de toi, explique-t-elle au héros, y en a qui vendent leurs idées, d’autres leurs forces, d’autres encore leur âme ». Zahir restera malgré tout intègre jusqu’au bout et cette intégrité finira par le perdre.
Un personnage en retard d’amour
Le regard que porte Réda Sadiki sur une société marocaine à deux vitesses, laissant une partie de sa jeunesse sur le bord de la route, est implacable. Le destin tragique qui sera celui du protagoniste semble résonner comme une mise en garde ou un appel au secours. Il n’en demeure pas moins que ce premier roman prometteur est dépourvu de tout misérabilisme. En optant pour un style truculent qui n’est pas sans rappeler celui de Mohamed Nedali, l’auteur accomplit aussi le prodige de nous faire entendre la vitalité d’une jeunesse qui ne se laisse jamais abattre.
Zahir vivra ainsi, avec l’une de ses voisines, une histoire d’amour, qui sera l’occasion d’exprimer des vérités universelles du coeur et du corps. Ouardia, « elle ne pense qu’à la bagatelle », affirme goguenard le narrateur. Quelques pages plus loin, le regard se fait plus sombre : « Les histoires de coeur, ça esquinte, ça abîme, ça défigure ». Le destin de cette jeune fille est évoquée, lui aussi, de façon rocambolesque et nous rappelle combien peut être cruel le sort de ces petites bonnes passant de la tutelle parentale à celle de familles de la grande bourgeoisie qui les font travailler pour une misère. « C’est ainsi qu’elle a débarqué, le jour de ses premières règles, chez les Berrada », résume, narquois, le protagoniste.
D’un ton toujours juste, ce premier roman, récompensé par le prix Grand Atlas, gagne à être connu. La vision d’une humanité, toujours sous la menace d’un écroulement, mais toujours rieuse, constitue une leçon de vie digne des plus grands moralistes. A sa façon, le personnage de Zahir exprime parfaitement cette ambivalence : « J’aime les plantes, écrit-il à son journal, surtout les palmiers. Ils ont le sens de la chute. »