Culture

Le monde parallèle de Faouzi Laatiris exposé au musée d’art moderne de Rabat

Du 5 octobre au 31 décembre 2016, le musée d’art moderne ouvre de nouveau ses portes à l’artiste fondateur de l’institut national des Beaux-arts de Tétouan. Après avoir exposé les oeuvres plurielles de ses plus prestigieux élèves, devenus des artistes à la renommée internationale, Faouzi Laatiris met à l’honneur son propre travail dans un projet intitulé, non sans humour, « Catalogue déraisonné ».

Par Olivier Rachet

Menée tambour battant par Morad Montazami, curateur de la Tate Modern à Londres, cette exposition se propose de ré-exposer, en les transformant, les oeuvres les plus emblématiques ayant jalonné le parcours de l’artiste, ces quinze dernières années. La déambulation à laquelle le visiteur est convié se construit, de nouveau, autour du motif des 7 portes, référence à la fois aux portes historiques de la ville de Tétouan et métaphore de l’ouverture avec laquelle Faouzi Laatiris conçoit son travail.

S’il peut sembler paradoxal d’enfermer, dans l’espace clos d’un musée, une oeuvre protéiforme qui ne s’est conçu longtemps que dans les marges institutionnelles et n’a eu de cesse de se déployer au contact de la vie de la cité, le caractère iconoclaste des installations proposées incite le spectateur à réfléchir aux transformations d’un monde devenu globalisé. Monde gouverné par l’hégémonie d’une économie capitaliste modifiant chaque objet traditionnel en simple valeur d’usage, dynamité par une recomposition de la ville déplaçant les frontières des espaces public et privé, renouvelé enfin par une renaissance des mythes, à l’ère de la société du spectacle.

La déraison comme muse

L’esprit de dérision qui caractérise le travail de Laatiris se situe dans le prolongement de l’esthétique dadaïste à laquelle il est rendu hommage, à travers les sculptures représentant la figure mythologique du Bouraq dont l’une des têtes n’est autre que celle de Marcel Duchamp. Les deux premières sections de l’exposition, intitulées respectivement « L’objet désorienté » et « Ville ambulante » détournent la pratique du ready-made en construisant des objets hybrides intitulés « Sculptures ambulantes » dans lesquelles l’artiste laisse libre cours à une imagination débridée.

Plusieurs motifs traditionnels ou populaires sont détournés de leur valeur habituelle afin de leur redonner un prestige perdu. Tels ces dessins odorants peints sur un papier de boucher offrant une variation sur le motif du lance parfum ou ces paraboles laissées à l’abandon dont la diversité chromatique rappelle aussi bien les monochromes dYves Klein que la bigarrure de motifs plus ancrés dans la culture populaire marocaine. Verres à thé qui se reflètent dans une série de miroirs les surplombant et composant une rosace ouverte aux quatre vents, briquets de toute nature déposés sur un podium sur lequel le visiteur est invité à monter; Laatiris détourne à la fois la valeur d’usage d’objets du quotidien, en nous invitant à nous interroger sur la frontière poreuse séparant l’artisanat traditionnel de la production en série.

Une alchimie du quotidien

Les espaces publics et privés, la rue et les jardins sont autant de lieux que l’artiste revisite en les présentant sous un jour neuf. Les deux dernières sections de l’exposition, « Ville ambulante » et « Renaissance des mythes » font ainsi la part belle à ce que la vie quotidienne peut avoir de plus banal et trivial. Qu’il s’agisse de présenter une série de sacs plastiques rappelant la forme de bennes à ordure ou de reprendre des images emblématiques des croyances légendaires ou religieuses, Laatiris transfigure l’enfer de nos représentations en faisant signe vers l’espace paradisiaque propre à l’oeuvre artistique. Des motifs que l’on pourrait croire dévalués à force d’avoir été trop vus ou de ne plus l’être assez acquièrent une nouvelle puissance iconique.

De simples objets associés à la pêche comportant des caisses de poissons et des leurres de pêche modifiés contribuent à ériger l’une des sept portes ponctuant le parcours de l’exposition. Des objets aussi hétéroclites que des instruments de musique à vent, des miroirs peints ou des pistolets en plastique sont élevés au rang d’icônes grâce au truchement d’un regard dont l’ironie le dispute à l’empathie. Rien de ce qui est populaire, publicitaire n’est étranger au regard de l’artiste dont l’oeuvre oscille en permanence entre le kitsch et le sublime.

Une oeuvre ironiquement engagée

Le bruit et la fureur du monde ne sont jamais loin de ces installations qui peuvent aussi s’entendre comme la caisse de résonance des séismes politiques et idéologiques qui ont traversé nos sociétés, depuis les années 90. L’exposition débute par une installation déroutante composée de rideaux de perles précieuses à travers lesquels le visiteur est invité à passer afin de contempler un mur d’objets divers comportant des joujoux de guerre et autres motifs. « Quand on n’a que l’amour » dont Morad Montazami considère qu’il s’agit du « Guernica » de Laatiris a été pensée, aux lendemains de la guerre en Irak et des attentats de Casablanca.

L’ironie a aussi pour cible le discours démocratique, à l’oeuvre dans tous les pays dont le paradoxe est de défendre les droits des citoyens, tout en recourant aux techniques de propagande qui sont celles de ce que Guy Debord définissait comme  » la société du spectacle ». Des rouleaux de papier « attrape mouches » dessinent le mot même de démocratie pendant qu’une installation de dessins muraux intitulée « Inti Khabat » parodie les affiches électorales, en confrontant des sigles publicitaires mondialement connus avec des carrés de couleur bleue ou rouge rappelant l’esthétique de Mondrian. Ce « catalogue déraisonné » est sans doute à l’image d’un monde devenu fou, tiraillé en permanence entre des aspirations contradictoires. Morad Montazami ajoute, avec justesse, que l’artiste « construit des installations au bord de la schizophrénie culturelle. Des sortes de bombes à retardement tiraillées entre leur forme et leur fonction. » Admirable oeuvre en gestation jubilatoire et subversive!

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