Living In Times Of Corona : 5 réalisateurs marocains, 5 visions de la vie
Déjà deux mois de confinement. Deux mois où vous avez attendu, ri, pleuré, angoissé, travaillé, appris, attendu (encore), dormi, mangé, questionné votre avenir, regardé des films, attendu (toujours). Parenthèse inédite dans nos vies, vécu seul ou en famille, le confinement a aussi été l’occasion, pour certains, de créer.
Pour mettre en avant cette créativité en temps de crise, le studio créatif et incubateur de talents JAWJAB, filiale d’Ali n’ Production dirigée par Nabil Ayouch, en partenariat avec l’International Media Support (IMS), a demandé à 5 réalisateurs marocains de renom de présenter, sous la forme de courts-métrages de 5 minutes, leur vision de la vie au temps du coronavirus. Le résultat? 5 petit bijoux réalisés en un temps record (7 jours) à voir sur www.facebook.com/jawjabma et plus d’un million de vues en moins d’une semaine !
Huis clos créatif
Hicham Lasri, Raja Saddiki, Hassan Ouazzani, Mohamed Achaour et Mohamed Mouftakir se sont prêtés à l’exercice. Leurs réalisations filmées, partagées entre le 18 et le 22 mai sur la page Facebook du studio créatif JAWJAB, sont une manière de s’extraire un instant du climat anxiogène de la pandémie et de s’évader dans l’univers particulier de chacun des réalisateurs.
Les 5 cinéastes témoignent tour à tour du changement brutal que le confinement a opéré dans leur vie ou dans celle de leurs proches. Plan séquence, noir & blanc, stop motion, photographie… À part les contraintes liées au temps de production et à l’espace, les réalisateurs avaient carte blanche pour livrer, dans le format qu’ils voulaient, quelque chose de très personnel sur cette période particulière.
« Nous voulions documenter cette période du point de vue des artistes, à travers les images qu’ils produisent, les histoires qu’ils souhaitent raconter », déclare Younes Lazrak, directeur général adjoint chez JAWJAB. Mais ce n’est pas là la seule vocation de ces films. « Depuis sa création, le crédo de JAWJAB est de questionner la société dans laquelle nous vivons. Cette mission prend d’autant plus de sens durant cette parenthèse particulière que nous vivons, car il s’agit pour nous de recréer du lien social, reconnecter les gens, susciter des émotions, des questionnements. Si chaque réalisateur a sa singularité, une façon de faire du cinéma et une sensibilité différente qui se ressent dans ces films, il n’en demeure pas moins que ces derniers ont une portée universelle, chacun pourra se reconnaître dans les protagonistes de chaque histoire ».
Visions personnelles, questions universelles
Le spectateur s’immisce ainsi dans l’antre de chaque réalisateur, découvre son lieu de vie, sa famille parfois, ses objets personnels. Hicham Lasri nous fait vivre la solitude comme angoisse, à travers un dialogue sans répondant, une sorte de jeu de cache-cache qui tourne mal. « Ça part d’un manque affectif, de cette nostalgie de mes enfants, pour en faire une sorte de récit anxiogène (poussant les codes du cinéma) pour donner ce récit à la fois simple, construit, et efficace », analyse le réalisateur.
Avec Raja Saddiki, c’est la nostalgie du monde d’avant qui prend forme dans un entremêlement d’images réelles et de dessins animés créés par la jeune dessinatrice Majda Jarbili. « Aujourd’hui nous sommes des milliards à rêver de revivre comme avant, de pouvoir être avec nos mères, nos amis, d’aller à la plage, d’être en contact avec les gens et la nature… Comme tous, nos rêves n’ont jamais été aussi simples que de retrouver notre vie d’avant », explique la réalisatrice et documentariste.
Le photographe et réalisateur Hassan Ouazzani a quant à lui choisi les mains de sa grand-mère, usées par le temps mais toujours habiles, comme « actrices » principales de ce court-métrage. Loin des siens, cette vieille femme ne peut plus compter que sur ses doigts pour vivre. Un éloignement familial vécu par beaucoup d’entre nous en cette période de confinement. « La limite entre le personnel et l’universel est très fine lorsqu’on s’attaque aux questions familiales », estime l’artiste.
Pour Mohamed Achaour, c’est à travers les yeux de son jeune fils qu’il donne à voir les effets du confinement. Agrippé aux barreaux du balcon, il n’a pour seul contact avec le monde extérieur que le passage quotidien du camion à ordures. « La question cruciale du film, c’est le changement brutal d’un mode de vie. Comment nos plus jeunes enfants vivent-ils le confinement et en sont-ils conscients ? », s’interroge le réalisateur.
C’est aussi en filmant son fils que Mohamed Mouftakir fait écho à une situation que nous vivons tous : celle de l’introspection pendant cette quarantaine forcée. « Un confinement externe mène à un déconfinement interne », explique le réalisateur. Entre les murs de sa maison, sur son petit vélo qui tourne en rond sur la terrasse, l’enfant devient cette voix intérieure de l’artiste qui est, « par essence, un être pour la plupart du temps confiné ».
Être créatif… en toutes circonstances
Cette série de capsule est aussi pour JAWJAB une manière de montrer qu’il est possible d’être créatif quelles que soient les circonstances. « Les réalisateurs que nous avons contactés ont réussi à produire d’excellents films avec peu de matériel, pas d’équipe et pour seul plateau de tournage les quatre murs de leur maison », poursuit Younes Lazrak. C’était un véritable challenge pour eux comme pour nous, mais c’est ce qui nous motive à JAWJAB et c’est ce qui nous permet de créer un contenu original qui se démarque ».
Libérer la parole
« Living In Times Of Corona » s’inscrit dans la lignée d’une série de contenus originaux produits par JAWJAB depuis son lancement en 2016. Le studio créatif, qui se donne pour mission de libérer la parole sur tous les sujets jusqu’aux plus tabous, a fait parler de lui avec des web-séries comme « Frame[d] », dont l’un des reportages sur une femme chauffeuse de bus à Casablanca a remporté le Prix Samir Kassir pour la liberté de la presse en 2019.
Des séries comme « Marrokiat » ou « First Blood » ont également eu un écho médiatique très favorable, abordant des sujets comme la féminité, le sexisme et les règles.