Rabat: Sublime exposition à la galerie d’art de la CDG
par Olivier Rachet
Après avoir donné carte blanche à Mahi Binebine, Mehdi Qotbi et Amina Benbouchta, la galerie « Espace Expressions CDG » de Rabat offre une carte blanche à l’artiste Najia Mehadji, mondialement connue et célébrée.
L’artiste plasticienne a choisi de placer cette exposition sous le signe de la beauté et du renouvellement des générations. Celle qui cite souvent le geste du peintre Claude Monet, qui au sortir de la première guerre mondiale offre à la France son cycle de peintures consacrées aux nymphéas – « un monument à la paix » disait l’artiste impressionniste devant « redonner un peu de vie à une époque dévastée qui en a tant besoin » – parie sur la puissance de sublimation de l’oeuvre d’art censée apporter de la beauté à un monde qui en manque terriblement.
On ne sera pas étonné de retrouver, dans le cadre de cette exposition, le motif floral et végétal cher à Najia Mehadji. Les photographies de Houda Kabbaj dont l’originalité repose sur l’agrandissement de tirages argentiques associent librement la beauté d’un corps nu de femme à des floraisons et des épanouissements végétaux aux résonances souvent érotiques. Comme dans les oeuvres d’art surréalistes exaltant dans un même élan lyrique le corps aimé et la luxuriance des éléments naturels, ces photos en noir et blanc constituent un hymne célébrant une forme d’innocence retrouvée dont la portée subversive reste toujours intacte.
Le travail de Younès Rahmoun a recours lui aussi, à travers un film d’animation particulièrement envoûtant, à ce même motif floral. Intitulé sobrement « Zahra », ce film voit s’épanouir à partir d’un point rouge fixe des dizaines de dessins représentant autant de fleurs aux couleurs chatoyantes et aux formes voluptueuses. Le jeu des formes renvoie aussi à une dimension spirituelle dont l’artiste revendique souvent la présence dans son travail : « Le dessin fait partie d’une série de sept dessins, précise-t-il, qui prennent la forme de texte en calligraphie arabe coloriée. Il y est écrit : Maison en lumière. »
De leur côté, les photographies sensationnelles de la jeune photographe Safaa Mazirh, regroupées sous le titre « Réenchantement », constituent une chorégraphie étonnante dans laquelle l’artiste se met en scène, revêtue d’un haïk luminescent dans lequel elle virevolte, à l’image des derviches tourneurs chers à Najia Mehadji. Le cadrage est resserré autour des murs aux dessins géométriques d’une pièce inhabitée. La luminosité du vêtement, à l’aspect de plus en plus spectral, semble habiter de son mouvement voluptueux une pièce qui devient comme la scène intime d’un rituel dont on ignore les codes. On songe aux gestes chorégraphiques d’Isadora Duncan ou de Martha Graham, qui, en leur temps, ont révolutionné les codes de ce qui allait devenir la danse contemporaine.
Une nouvelle génération d’artistes ayant le goût de l’expérimentation
La sublimation d’un monde marqué par l’uniformisation et le culte de l’utilité dans toute la laideur qui est peut être la sienne passe aussi par des expérimentations plastiques et visuelles que Najia Mehadji a l’intelligence de mettre ici à l’honneur. Le jeune prodige de l’art marocain, Hicham Berrada, originaire de Casablanca, propose une vidéo en noir et blanc intitulée « Un serpent dans le ciel » dans laquelle l’artiste procède à un lâcher de ballon gonflé à l’hélium, d’une contenance d’un mètre cube, duquel un fumigène artisanal va permettre de dessiner dans le ciel la forme sinueuse d’un immense serpent. Le montage qui procède par d’imperceptibles raccords dans l’axe apparente ici la vidéo à un travail quasi pictural où l’objet semble relayer le geste même de l’artiste. On connaît le goût d’Hicham Berrada pour les expérimentations chimiques dans lesquelles celui-ci mise à la fois sur le caractère éphémère et performatif de l’oeuvre d’art ainsi que sur l’importance accordée au processus chimique lui-même qui obéit à des règles qui échappent à la volonté du créateur. Les Casablancais pourront admirer le travail de cet artiste dans une performance intitulée « Présage » menée en collaboration avec le compositeur Laurent Durupt, qui se déroulera à l’Institut Français de Casablanca, le vendredi 14 octobre.
Autre artiste passionné d’expérimentations visuelles, le jeune photographe Mustapha Azeroual expose deux séries photographiques intitulées « Ellios » et « Aurora ». Fasciné par le temps lent de la photographie et les premières expériences menées par les prédécesseurs de Nicéphore Niepce, que l’on associe à l’invention de la photographie, Mustapha Azeroual revendique une approche « déconstructionniste » de son art. Utilisant des procédés anciens tels que le tirage à la gomme bichromatée ou le daguerréotype, l’artiste a recours à la photographie moins comme un capteur de réalité qu’à l’image d’un peintre dont l’attention serait toute entière portée sur la surface de la toile. La dimension cosmique de la série « Aurora » a sans doute attiré l’attention de Najia Mehadji dont l’un des travaux était nommé, en référence à Gilles Deleuze, « chaosmos. »
Une sublimation cosmique
Peut-être retiendra-t-on de cette carte blanche confiée à l’artiste marocaine cette double impression de chaos et d’harmonie, comme l’illustration de la tension qui continuerait d’animer le dialogue entre les cultures, entre des aspirations souvent contradictoires. Loin des oppositions devenues bien trop canoniques entre l’Orient et l’Occident, la tradition et la modernité, peut-être vivrions-nous, à l’heure des interconnexions permanentes, une nouvelle forme de Renaissance artistique et culturelle dans laquelle les influences antagonistes entreraient en résonance les unes avec les autres, où la beauté impérieuse du legs des anciens viendrait dialoguer avec les expérimentations des nouvelles générations. Et les artistes marocains seraient à la pointe de ce renouveau artistique.
La série « Sublimation » composée par Najia Mehadji, sur laquelle s’ouvre l’exposition, ne renoue pas seulement avec le motif des volutes auquel la peintre a accordé ses lettres de noblesse, elle innerve un fond noir de rubans blancs dont le mouvement en forme de spirale semble dessiner la circularité infinie d’un temps incitant le spectateur à parier sur la possibilité de toujours plus de beauté. Prolongeant cet enthousiasme créateur, les tableaux figuratifs de Nabil El Makhloufi, intitulés « Souffle », « L’étreinte » ou « La lumière » expriment sereinement cette confiance qui est celle de Najia Mehadji en la puissance évocatoire et sublime de l’oeuvre d’art.