L’esprit de résistance des jeunes photographes turcs
À l’occasion des Rencontres photographiques d’Arles, dans le Sud de la France, la jeune scène contemporaine turque brille par son esprit de contestation hors du commun.
Par Olivier Rachet
On sait combien la liberté d’expression est menacée, dans la Turquie actuelle ; combien il est devenu difficile pour les journalistes, mais aussi les enseignants, les chercheurs, d’exercer en toute sérénité leur travail. Aussi l’exposition « Une colonne de fumée », organisée à la Maison des Peintres, offre-t-elle de réelles raisons de croire en la force des collectifs et en celle de l’art, en l’occurrence ici photographique, d’entrer en résistance. « Cette exposition, précisent en ouverture les deux curateurs Ilgin Deniz Akseloğlu et Yann Perreau, se veut aussi un hommage à ceux qui continuent de s’exprimer sous une telle chape de plomb. »
Le sens du collectif
Depuis quelques années, les initiatives pullulent pour essayer de contrecarrer les visées liberticides d’un pouvoir autoritaire. À l’image du mouvement contestataire du parc Gezi, débuté en mai 2013, pour protester contre un projet de développement du parc situé à Istanbul, ayant organisé plus de 5000 manifestations et regroupé près de 3, 5 millions de personnes. Depuis, le Hashtag Gezi (#DirenGezi) compte des milliers de followers auxquels l’exposition rend hommage, à travers une série de photos inédites montrant la violence avec laquelle le mouvement a été réprimé.
En 2012, naissait, d’autre part, le projet de journalisme citoyen « 140 journos » qui, selon Time magazine « est en train de transformer le journalisme en Turquie. » Ce nouveau média alternatif, dont plusieurs vidéos rendent compte du travail monumental d’information, compte aujourd’hui plus de 500 000 abonnés, grâce notamment à la force de frappe de ces nouveaux réseaux sociaux que sont Instagram, Facebook ou Twitter.
Une photographie en prise avec le réel
Les photographes, de leur côté, ont à cœur de témoigner de toutes les facettes du monde qui les entoure, juste dans ses recoins les plus sordides. Ils n’ont pas froid aux yeux et ne soucient nullement de savoir si leur pratique respecte ou non les codes en vigueur. L’urgence comme seul programme, la vérité comme seul credo. Les critiques d’art peuvent aller se rhabiller : leurs leçons de morale et d’esthétique ne nous seront ici d’aucun secours. Dans une série détonante intitulée « Contrôle », le jeune photographe Çagdar Erdogan, originaire d’Anatolie orientale, s’intéresse aux activités nocturnes où se côtoient les prostitués et les combats de chiens. Les montages auxquels a recours l’artiste établissent des parallèles saisissants entre des activités en apparence opposées, mais qui expriment à la fois la force de subversion d’un monde interlope et la toute-puissance de l’argent dénaturant l’ensemble des rapports humains.
Dans une autre série intitulée « La fin du monde aura-t-elle lieu ce jour ? », Cihan Demiral imagine un roman-photo centré sur un tremblement de terre que les scientifiques avaient prédit, suite au séisme ayant eu lieu à Izmir, en 1999. C’est un monde où règne une violence latente qui nous est ici montré, où l’on peut contempler, enlacés, au loin, une colonne de fumée, sans mesurer totalement la tragédie qui est alors à notre porte. Les propositions de cette jeune scène contemporaine sont iconoclastes, diverses, mais ont le mérite de témoigner d’une capacité à résister avec dignité à toute forme d’oppression quelle qu’elle soit. Une vraie leçon de courage.
Rencontres photographiques d’Arles, « Une colonne de fumée », la Maison des Peintres, jusqu’au 23 septembre 2018.