« We love arabs », coup de coeur du festival d’Avignon
Par Olivier Rachet
Le chorégraphe et danseur israélien, Hillel Kogan, a enchanté les spectateurs avec une pièce décalée et politiquement incorrecte.
Hillel Kogan est un chorégraphe anxieux qui se pose beaucoup de questions. Dès l’ouverture de la pièce, il plonge son public dans les affres de la création. Comment habiter l’espace? Sur quelles bases édifier un spectacle? Comment se mesurer à l’autre? La réponse pour lui sera simple et radicale: en se confrontant à un arabe. C’est alors qu’entre en scène Adi Boutrous, israélien arabe vivant aussi à Tel-Aviv. Jeune homme candide et souriant, espiègle parfois, il se prête sans trop rechigner aux élucubrations du créateur.
Un face-à-face drolissime.
Toute l’intelligence de cette pièce est moins de confronter deux corps que de mettre face à face deux consciences, deux univers mentaux. Hillel rêve de donner corps à l’altérité, de donner à voir presque le choc des civilisations, mais avec une autodérision certaine. Or les représentations du chorégraphe se cognent souvent à une réalité plus inattendue et émouvante qu’il ne le pensait. C’est ainsi qu’afin de mieux signifier l’identité, il demande à Adi de dessiner une étoile de David sur son tee-shirt et s’étonne que celui-ci débute par le triangle du bas. Quand il inscrira un croissant de lune sur le front de son compatriote, il devra en rabattre lorsque ce dernier lui dira être de confession chrétienne.
L’humour, pas la guerre.
Tous les mouvements de cette chorégraphie en train de se penser à voix haute confrontent les egos et les sensibilités des danseurs, mais il s’agit surtout de se délester du fardeau des identités et d’en finir avec les stéréotypes que les êtres perpétuent les uns par rapport aux autres. On atteint avec ravissement les sommets de l’absurde lorsque les deux danseurs feignent de ne pas trop bien se comprendre ou semblent accepter bon an mal an l’irréductible altérité de l’autre. La violence du conflit israélo-palestinien n’est jamais loin mais même quand les danseurs armés d’un couteau et d’une fourchette esquissent un duo combatif dont l’issue reste incertaine, le spectateur s’émeut et s’amuse à la fois de voir comment deux êtres qui se voient si différents peuvent être parfois amoureusement si proches.
Que vive la danse!
On laissera pour finir les spectateurs les plus chanceux découvrir quelle peut être la force symbolique d’un bol de houmous qui, au gré des mouvements esquissés par les danseurs, se transforme en un nouvel arche d’une alliance inédite. Celle des esprits et des créateurs qui, en ces temps de discorde, parient avec audace sur les possibilités de paix, de communion et d’amour mais en riant. Et ce n’est pas la moindre des délicatesses que d’offrir, à la fin du spectacle, le verre de thé de l’amitié et une tartine de ce délicieux houmous avec lequel nous espérons que les spectateurs marocains pourront bientôt communier.
We love arabs , texte et chorégraphie de Hillel Kogan, au théâtre de la Manufacture, Avignon, jusqu’au 24 juillet 2016.