Le Maroc à l’honneur du festival Montpellier danse
Par Olivier Rachet
Le chorégraphe marocain, Taoufiq Izeddiou, originaire de Marrakech, créateur avec Bouchra Ouizguem du festival « On marche », a présenté à Montpellier sa dernière création, un solo engagé intitulé En alerte.
A l’origine de ce solo, se situe une interrogation sur la dualité qui siège au coeur de toute forme de spiritualité. » Quel est le cheminement qui a permis à Jalal Od-Din Rumi – poète et mystique persan qui a influencé le soufisme – de s’inscrire dans l’immortalité et de briller encore par sa sagesse, se questionne le chorégaphe? A l’opposé, quel est le cheminement spirituel qu’un djihadiste emprunte pour arriver au nihilisme absolu? »
Il s’agit moins de trancher que d’exprimer à travers des effets de transe le désarroi et les doutes de toute une génération. Deux musiciens se font face, l’un en possession d’un guembri, instrument traditionnel des musiciens gnaouas; l’autre d’une guitare électrique. Les sons s’accordent et se confrontent fraternellement avant que le danseur ne s’empare des deux instruments de musique et ne les transforme symboliquement en armes à feu. Aux riffs des instruments à cordes se heurtent alors les rafales de la mitraille.
La musique savante au coeur de toute spiritualité peut toujours être instrumentalisée, semble nous dire le chorégraphe. Là résiderait d’ailleurs, selon lui, la différence entre religion et spiritualité : « La religion en tant que telle serait une réponse rapide à nos peurs. La spiritualité pour moi est quelque chose qui se construit sur le long, telle la Tariqa des ordres mystiques en Islam qui se basent sur un prolongement de l’enseignement religieux. »
Douter de la ligne
La voix est aussi centrale dans cette pièce qui voit le chorégraphe et danseur psalmodier des chants liturgiques alors que les deux musiciens ont échangé leurs instruments. Moment de doute, de perplexité. On entre comme par effraction dans un rituel dont on ne saisit peut-être pas toutes les nuances. A l’image de l’enfant que Taoufiq était à 5 ans lorsqu’il assista, chez sa tante, à la Hmadcha, cérémonie religieuse consistant à sauter de haut en bas et » à respirer d’une manière très profonde et bruyante. Il m’avait été formellement interdit d’y assister, raconte le danseur, mais par attraction envers la musique du rituel et hypnotisé par le bruit, j’ai pris part à la cérémonie. »
Et ce sont bien ces interrogations, ces doutes, ce questionnement des dogmes que ressuscite celui qui choisit de clore sa pièce sur la projection d’une centaine de noms différents de Dieu. La diversité des langues renvoyant ici à la centaine de noms d’Allah répertoriée dans le Coran. Vêtu d’une djellaba en laine, le danseur offre un final saisissant dans lequel s’exprime à la fois la confusion des langues et le chaos dans lequel nous vivons, confondant tragiquement spiritualité et instrumentalisation dévoyée de la religion.
Rester en alerte
Un tableau intrigue aussi durablement le spectateur. Portant sur son dos un sac de farine transpercé, le danseur accomplit une sorte de rituel expiatoire, dessinant par ses pas une spirale qui s’apparentera en fin de parcours à une rosace éblouissante. Coiffé d’un casque de moto, le chorégraphe s’installe dans un fauteuil et après une longue attente, se dirige vers les spectateurs du premier rang, en leur demandant un câlin. On hésite. Une femme se lève et serre fort dans ses bras le danseur. Etrange et inattendue communion où se lit à la fois l’irréductible solitude des êtres à l’ère de la généralisation du spectacle et l’appréhension à fraterniser avec ses semblables.
Rester en alerte serait accepter de contourner le face-à-face stérile entre les cultures, les religions pour se fondre dans une communauté fraternelle qui n’est autre que celle des amateurs éclairés d’art dans ce qu’il a de plus sublime.