Expo: Des oeuvres du grand Kacimi à Marrakech
Le Comptoir des Mines propose une exposition magnifique d’œuvres inédites ou peu connues du peintre marocain. « Un parfum de liberté… » invite le spectateur à une véritable immersion dans le travail d’un artiste foisonnant.
Par Olivier Rachet
Décidément, il se passe quelque chose au Comptoir des Mines de Marrakech. La Galerie principale vient encore de s’agrandir et pour inaugurer ce nouvel espace, son créateur Hicham Daoudi n’a rien trouvé de mieux que de mettre à l’honneur l’un des plus grands peintres marocains. On ne trouvera pas ici des toiles gigantesques, mais pas moins de 74 œuvres différentes : dessins, esquisses, travaux préparatoires, quelques toiles. Le visiteur a la sensation de pénétrer dans l’atelier de l’artiste, de le voir et de l’entendre même en pleine activité.
Des dessins inédits
Saluons au passage la présentation digne des plus grands musées d’une exposition qui a pour vocation de retracer, en quelques traces, les étapes principales d’un parcours hors pair. Une première partie de l’exposition est consacrée aux premiers travaux et à des œuvres méconnues, situées entre 1965 et 1977. Beaucoup des dessins exposés ne sont pas signés de l’artiste mais comportent le cachet de son atelier permettant d’authentifier l’œuvre.
La précision du trait est souvent incroyable. On mesure combien la phrase fanfaronne de Picasso – « Je ne cherche pas, je trouve » –relève de la forfanterie. Kacimi est un chercheur d’or, un explorateur de formes. Il prend à bras-le-corps la couleur et parfois la matière même. L’influence de Gharbaoui, qu’il rencontre dans ces années-là, se fait déjà sentir. Mais on retiendra surtout la tension qui habite ces dessins dans lesquels les motifs se cherchent encore : ceux de paysages désertiques que viennent compenser des formes voluptueuses, quand elles ne sont pas clairement érotiques.
L’exposition se prolonge par des œuvres couvrant les années 70-80 qui correspondent à l’émergence chez Kacimi d’une conscience politique jointe à des innovations plastiques incessantes ; l’une se ressourçant aux autres. Le travail sur la couleur semble concentrer toute l’attention du peintre qui explore alors la grande variété des tons bruns et ocres – couleurs telluriques qui disent l’ancrage de la peinture dans le sol natal mais qui repoussent aussi les limites d’un espace prisonnier de ses propres frontières ; Kacimi étant aussi un peintre voyageur avide de découvrir d’autres terres – mais qui creuse aussi l’énigme que constituent les différentes variantes de bleu, couleur maritime plus qu’aérienne ici.
Le souci du monde
On connaît l’engagement qui fut celui de Kacimi en faveur des droits de l’Homme et de tous les citoyens. Un dessin comportant un timbre célébrant le quarantième anniversaire de la Déclaration universelle de 1948 nous le rappelle d’ailleurs. On connaît aussi le motif de ces figures qui chancellent, de ces hommes qui se courbent sous le joug de pouvoirs qui n’ont pas besoin d’être nommés. On mesure, à ce titre, combien la peinture de Mahi Binebine doit beaucoup à Kacimi.
On découvrira avec intérêt toute une série de dessins conçus lors de la première invasion américaine en Irak. Intitulée « Shéhérazade et la guerre », cette partie de l’exposition est sans nul doute la plus touchante. Le trait se fait plus vif, plus urgent ; le dessin plus chaotique aussi. Laissons pour finir la parole à Kacimi lui-même, qui était aussi poète. En réponse au Prince qui l’interroge sur la possibilité de survivre à cette guerre, Shéhérazade a ces mots qui disent l’intemporalité dévastatrice de la violence : « Dans cette guerre, seigneur / Il n’y a ni vainqueur / Ni vaincu / Ses seuls héros / Sont les démons / Des ténèbres oppressantes / Et ses victimes innocentes / Les enfants de Bagdad / De la pierre et d’ailleurs ».
Exposition Kacimi, « Un parfum de liberté… », Comptoir des Mines de Marrakech, jusqu’au 10 février 2018.