Hicham Lasri: « les arabes sont les premiers à squatter les sites d’adultes »
« No vaseline fatwa », nouvelle web-série est diffusée sur Youtube depuis le 7 juin dernier. Entretien avec son réalisateur Hicham Lasri.
Le Site info: D’où vous est venue l’idée de faire ce film ?
Hicham Lasri: No Vaseline Fatwa est un projet personnel que je traîne dans ma besace depuis un moment, en hommage à des séries comme South Park et Beavis & Butt-Head, sans oublier Ice Cube et les Monty Python pour le côté humour grinçant et politiquement incorrect.
Je voulais faire une fiction ironique qui joue avec les codes de ce que j’appelle l’écriture Youtube : des vidéos balancées par des quidams qui pensent que leur avis compte. On s’amuse de ces vidéos à deux balles lancées sur Internet par les mouftis, les prêcheurs, les énervés, les collabos, les planqués, les quémandeurs, les racistes, les anonymes… C’est aussi une manière de détourner ces vidéos de prêcheurs et de hargneux qui sévissent sur Internet.
L’autre idée qui m’intéressait c’est d’investir Internet comme un espace de non-droit, en mode corsaire et de faire passer de la contrebande ou du Moonshine. Le Web est ce qui se rapproche le plus des eaux internationales en terme de liberté d’expression et de création. On peut faire ce qu’on veut tant que Facebook n’est pas bloqué, comme en Chine ou en Iran.
No Vaseline Fatwa est né d’un double désir : faire chier les bien-pensants et les démagogues, foutre le feu à la langue de bois, mais aussi le faire avec un second degré que certains ne vont parfois pas saisir, surtout pendant le mois de ramadan où tout le monde se prend pour le Charles Bronson de la morale et de l’éthique.
Quel est le synopsis ?
Pendant dix ans, Moujahid, enfant orphelin de Al Qaeda adopté par Daech, s’est caché dans une grotte, quelque part dans les montagnes d’Afghanistan, pour continuer la lutte contre l’envahisseur américain. C’est là qu’il a découvert Internet et a commencé à partager ses pensées, ses états d’âmes, ses coups de gueule, sa vulgarité et ses fatwas. Le sens prodigieux de la litote de Moujahid n’a de comparable que sa capacité faramineuse à tisser des métaphores alambiquées. Pendant ses dix ans en isolation, en plus d’Internet et de la gratuité des fatwas, il a découvert aussi la vaseline. Bienvenue dans No Vaseline Fatwa ! Attention : terrain glissant !
Âmes raffinées, têtes bien pensantes, hypocrites à la petite semaine, 3abbadine Le7rira et démagogues de tous bords, s’abstenir de perdre du temps avec ces chroniques qui s’adressent aux gens qui ont un creux d’estomac dans la tête et des chevilles carrées dans un monde de serpillières.
De quelles aides avez-vous bénéficié ?
C’est un projet personnel qui comme « C’est eux les chiens » et mes derniers films était porté par amour. J’ai été aidé par l’équipe de Yek TV, par mon acteur fétiche Salah Bensaleh, par la volonté de faire quelque chose qui nous amuse et passionne en dehors des sentiers battus de la production standard. Il est aisé d’imaginer que ce type de projet ne sera jamais financé par un opérateur téléphonique ou un sponsor institutionnel. Ils préfèrent continuer à plagier Zack Snyder, à faire du sous Marvel en mode série Z, à payer YouTube pour gonfler les chiffres des vues et donner l’impression que ça marche. Pourquoi pas ! Je respecte.
Vous voulez dire que No Vaseline Fatwa n’est pas à vendre…
Exact. C’est un geste poétique, gratuit et abscons, un acte de résistance et d’immaturité assumée en ces temps de poltronnerie. On n’a pas fait ce projet pour gagner de l’argent, mais pour donner un coup de pied à l’asservissement institutionnel. Je suis toujours estomaqué de voir qu’on doit être le seul pays au monde où les rappeurs et les mecs du hip-hop (des anti-système par excellence !) font du rap makhzénien, où les acteurs/actrices sont plus conservateurs que les imams et ne critiquent que les projets où ils ne sont pas conviés… Je tire mon chapeau à la comédienne Najat Khairallah à qui on doit la répartie la plus drôle de cette année. Elle a répondu à toutes les actrices qui ne cessent de clamer haut et fort qu’elles ne veulent pas faire de rôle dénudé ou sexy : pour jouer des rôles sexy, il faut déjà avoir le physique, ce qui n’est le cas de presque personne dans la profession. Voilà notre environnement, qu’on l’accepte ou pas. La version de trois heures, piratée l’année dernière, de Much Loved est le film marocain le plus visionné de tous les temps avec presque deux millions de vues sur la Toile. Comment expliquer ça ? Les Arabes sont les premiers à squatter les sites pornos. Ce type de données est une mine d’or d’un point de vue sociologique. Pour un cinéaste, c’est une époque formidable pour faire des films et des projets.
Le film ne sera disponible que sur Internet. Pourquoi un tel choix ?
Quand on fait un film, Mégarama fait la loi, quand on crée un projet TV, on est tributaire des commissions et des diffuseurs. Parfois on a juste envie de s’affranchir de ces interfaces. La Toile est une plateforme géniale, pour la liberté absolue qu’offre Internet.
No Vaseline Fatwa un projet à but non lucratif et du coup c’est plus simple de balancer les épisodes sur le Net sans interface, sans promotion, sans lourdeur, sans attente, sans obligation de résultat, sans être crucifié par des journalistes énervés qui ne parlent que d’argent public pendant le ramadan, comme chaque fois que je faisais un projet TV. Les orteils en éventail, on peut dire que c’est un geste punk.
Quel message souhaitez-vous faire passer ?
Un message très simple : why so serious ?!
Pendant le ramadan, j’ai toujours l’impression de passer dans la Twilight Zone. Quand je prenais la navette Casa-Rabat, les fonctionnaires et les cadres bancaires, qui jouent toute l’année aux cartes (au lieu de lire), troquent leurs cartes pour le Coran et tout le monde semble se rappeler le bon souvenir de l’au-delà. Idem pour les gens qui interpellent les jeunes femmes dans la rue à cause de leur tenue ou même de leur parfum. Avant on appelait ce type de personnes, qui ne fait la prière que pendant ramadan, des 3ebbadine le7rira, mais depuis le statu quo démago post printemps arabe, on a oublié que l’hypocrisie n’est qu’un masque. Certains vivent dans la confusion au point d’essayer de faire pousser une barbe sur leur masque d’hypocrisie…
Pensez-vous que la société marocaine est prête pour ce genre de concept ? Ou encore conservatrice ?
La société marocaine n’est pas prête, mais je pense que le propre d’une entreprise comme No Vaseline Fatwa c’est de ne pas chercher à fédérer les gens, mais à les diviser et les obliger à dialoguer entre eux. Le dialogue, c’est de début de la civilisation, c’est toujours mieux qu’un mec qui parle tout seul face à son écran d’ordi.
Propos recueillis par Hicham Bennani
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