Chroniques

« Ne m’appelez plus schizophrène ! »

Jalil Bennani

Par Jalil Bennani, psychiatre, psychanalyste 

« Je ne souffre pas de cette maladie. Je vis des tensions internes, je suis confrontée à des contradictions, je suis tiraillée entre des aspirations opposées ».

Ces mots ne sont pas ceux d’une personne, mais pourraient être ceux de la société, si elle pouvait parler. On utilise aujourd’hui, ici et là, des mots de la pathologie pour désigner la société tout entière. Peut-on ainsi – a-t-on le droit – de la pathologiser ?

La question posée est alors: les Marocains sont-ils schizophrènes ? Voyons tout d’abord ce que désigne cette maladie. Classiquement elle se définit comme une psychose grave se caractérisant par des signes de dissociation mentale, de discordance affective et d’activité délirante incohérente, entraînant une rupture de contact avec le monde extérieur, voire un repli autistique. Il existe certes beaucoup de variantes et de formes légères de cette maladie. Doit-on pour autant qualifier tout comportement discordant, dissocié ou tendant à l’isolement et au repli comme appartenant à cette classification psychiatrique ?

Qu’est-ce qui a conduit à cette dérive, devenue presque coutumière dans les discussions ordinaires et entretenue par certains médias ? On sait les Marocains tiraillés entre les valeurs traditionnelles et le monde moderne. Certains sont tout à la fois pratiquants religieux et transgressifs, conservateurs et libertaires, puritains à certaines heures, festifs à d’autres… Déniant la pluralité culturelle qui caractérise le pays, d’autres courent à la recherche d’une origine perdue qui devient dès lors fantasmée et caricaturée, tandis que d’autres encore adoptent une fuite en avant vers d’autres cultures, d’autres cieux.

Ce qui sied mieux aux Marocains, ce n’est pas la désignation de schizophrénie mais celle de pluralité identitaire. Ils sont parfaitement conscients de leurs pensées, actes et choix de vie. Mais nombre d’entre eux préfèrent taire leurs contradictions. Ceux qui les expriment en ressentent des angoisses et peuvent même trouver refuge dans la dépression. D’autres, plus heureux, assument la pluralité et y trouvent une liberté, même au prix de tensions internes.

Autrefois, le fou, celui qu’on désigne aujourd’hui par le mot « schizophrène », était le sage dont les paroles pouvaient être écoutées, car il était inspiré et doté de pouvoirs cachés, à l’instar du saint ou du poète. Tel n’est plus le cas aujourd’hui, le discours scientifique ayant apporté ses diagnostics et ses traitements médicaux. Par respect pour ceux qui souffrent, ne les stigmatisons pas davantage. Sachons reconnaître aux mots leur signification, leur usage et leur contexte.

 


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