Chroniques

MISONS SUR LA JEUNESSE !

Par Mehdi Alioua, Docteur en sociologie

Dans sa tribune, Ahmed Ghayet lance un appel au sursaut face à la montée de violence d’une police des mœurs improvisée et sur les errements d’une jeunesse à l’abandon.

Il a raison, car les Marocaines et les Marocains expérimentent l’angoisse existentielle de la modernité, alors que les espaces de renégociations et d’exutoires, qui permettraient de donner du sens à celle-ci, sont trop limités, et les rares existants souvent inconsistants. Autrement dit, la société a laissé se développer un vide qui ne cesse de s’étendre, au risque que les plus fragiles d’entre-nous, notamment les plus jeunes, s’y engouffrent avec fracas !

Pour le dire encore plus clairement : on a abandonné la jeunesse marocaine ! Et c’est le plus grand crime commis par le Makhzen de Hassan II, de Basri, de l’Istiqlal et consort ! Pourtant, quelque chose, et je ne sais pas quoi encore, a permis de limiter le nombre de zombies que ce machiavélique oubli aurait dû produire.

Une force, incroyable, que le philosophe Driss Jaydane, et quelques rares autres intellectuels, commencent à peine à toucher du doigt, a empêché notre jeunesse de sombrer, et l’ensemble de la société avec, dans le chaos. Et, contrairement aux humeurs cyniques des âmes tyranniques, qui se sont gavées le foie sur nos faiblesses en dévorant infiniment, tel le supplice de Prométhée, le nôtre, ce n’est pas grâce à l’Etat, à sa personnalisation patrimoniale et à son islam généalogique. Non !

Non, autre chose agit et cela devrait nous redonner de l’espoir. Oui… mais c’est quoi alors cet autre chose ? L’esprit de conservation ? Ce qui expliquerait le grand conservatisme des Marocains ? Je ne le pense pas… je ne sais pas ! En revanche, ce que je sais, et c’est ce qui m’a fait revenir vivre ici avec ma famille, avec mes filles, alors que je m’étais enfui à 18 ans en courant plus vite encore que mes jambes ne pouvaient le supporter, c’est qu’il faut chercher de toutes nos forces, ensemble… tous ensemble. Les un-e-s avec les autres et les un-e-s pour les autres. Cela devrait être notre mission, notre sacerdoce ! Il faut trouver, urgemment, la potion, et l’administrer à grande échelle.

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En attendant, comme toutes les jeunesses du monde, la nôtre est belle… plus somptueuse encore qu’elle n’en a conscience. Et il faut le lui dire, tous les jours. Comme l’ont fait nos pères et les pères de nos pères dans leurs bénédictions qu’ils nous offraient avec leurs mots spirituels, pour nous protéger de la peur ; comme l’ont fait nos mères, et les mères de nos mères en nous chantant des louanges et en nous prodiguant des légendes où les héros mythiques sont nos semblables par-delà nos peurs.  Il faut lui dire, à cette jeunesse marocaine, que nous avons confiance en elle.

Elle représente à la fois l’espoir de notre perpétuation et la foi en notre humanité, que les charognards, les corrompus et les haggars ont cru emporter avec eux dans leur cycle infernal de prédation. Elle est la multitude, la majorité, l’ensemble, alors que notre Maroc est déjà, ou presque, mort… C’est pour cela qu’elle devrait avoir le pouvoir, en partie, et la confiance du pouvoir, en totalité, avec les moyens de sa réalisation.

Et pour cela elle a besoin de sens… mais on lui a confisqué. Pire, non seulement ceux qui le lui ont confisqué n’arrivent pas eux-mêmes à donner du sens à cette forme d’infanticide, mais ils résistent de toutes leurs forces pour empêcher la jeunesse d’écrire sa propre histoire !

Lorsque la jeunesse marocaine essaie de rêver, elle doit d’abord présenter son projet devant le comité de la censure et de la vertu. Et gare aux rêveurs clandestins ! Lorsque la jeunesse veut s’exprimer, elle doit d’abord mettre ses mots dans la bouche de ceux qui sont autorisés à l’ouvrir, car leurs dents blanches et leur langue soyeuse, que leur condition sociale a choyées, ne font pas peurs aux bien-pensants et aux bigots.

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Malheur à ceux qui crachent les mots et bavent les syllabes ! Lorsque la jeunesse veut jouir des plaisirs de la vie, elle doit devenir tristement adulte, éreintée de responsabilité, limite asexuée, voire frigide…

Mésaventures et fatwas haineuses aux plaisirs solitaires et aux fêtes non validées par les caïds et les fqihs ! Lorsque la jeunesse veut plus de liberté, on l’entrave comme une vache et on l’enferme comme un poulet. Certes, certains membres de cette jeunesse sont de beaux poulets, bien nourris aux grains et élevés en semi-liberté. Certes, d’autres, indépendamment de leur condition matérielle, réussissent par la force de leurs convictions et le génie des rencontres imprévues que la vie moderne précipite, à voler de leurs propres ailes. Mais une aile de poulet ne fait pas voler bien haut… ni bien loin.

Et nos espoirs, que nous puisons dans nos réussites, ne doivent pas cacher le fait que nous vivons une infâme dictature des mœurs qui mortifie l’âme du Maroc de demain, mettant dangereusement les jeunes en porte-à-faux avec la société dont ils sont les héritiers et bientôt les détenteurs. Cela a déjà commencé par pourrir le vivre-ensemble.

Nous le voyons avec les violences de rue et les vindictes populaires. Pire ! Cela nous empêche d’inventer un Maroc nouveau. La routine est le propre d’une société sclérosée par les injustices et les inégalités sociales… et sa meilleure ennemie à cette routine c’est bien son inverse fiévreux et incertain : la jeunesse. C’est le seul, l’unique, l’essentiel pari que nous devrions faire… miser tous nos mots et nos dirhams, tous nos tarbouches et nos croyances, toutes notre énergie et nos salons marocains, tout, vraiment tout miser sur elle !

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