Les stades sont-ils en train de devenir un exutoire ?
par Fath El Bari El Habti, Consultant en Stratégies de promotions
De la violence à la revendication sociale et politique: les stades sont-ils en train de devenir un exutoire à un malaise social? Malaise social ou juste flagrant manque d’éducation, voire débâcle morale ? Déficit de savoir-être en société ou manque d’encadrement associatif ?
En tout cas, la violence liée aux évènements sportifs, ou « l’épidémie britannique » (British Disease), comme souvent qualifiée par des sociologues et des chroniqueurs, reste un phénomène qui ne cesse de provoquer des réactions et lectures variées et diverses. Tant à l’échelle nationale et internationale, ces réactions oscillent entre appels au renforcement des dispositifs sécuritaires et appels à un diagnostic social associé à des mesures de prévention à long terme. Cette violence, communément liée aux dimensions compétitives du sport et au spectacle sportif en général, est un phénomène de longue date dont les origines remontent, selon les historiens, à la Grèce ancienne et à l’empire romain, mais néanmoins, le phénomène a atteint une visibilité notable dans les années 1960 en Angleterre en tant que problème social contemporain.
La prévention…un remède préconisé.
Les stratégies ayant pu lutter efficacement contre la violence des spectateurs en Europe ont toutes été marquées par la prééminence de la prévention en tant que solution bien supérieure à tout autre remède.
Un grand nombre d’experts s’accordent sur la nécessité de mettre l’accent sur la prévention et non sur la confrontation et préconisent de s’inspirer des stratégies adoptées en Angleterre pour réduire la violence. Ces stratégies, mettant principalement l’accent sur la dissuasion et la réduction des opportunités propices à la violence n’ont pas seulement imaginé des approches sécuritaires novatrices, mais ont également touché à un élément fondamental : l’amélioration des conditions dans lesquelles se déroulent les matchs. On a vu à cet égard une nette restructuration des stades : places assises uniquement, surveillance accrue lors des matchs et augmentation du nombre des stadiers. Cependant, il sied de préciser que les facteurs qui concourent aux problèmes de violence dans ce pays ont été méticuleusement examinés par le biais d’analyses locales ayant permis de déterminer les mesures d’efficacité, d’identifier les principaux points d’intervention et de choisir les réponses adéquates. Ceci dit, d’autres causes de la violence dans les stades, latentes, et donc moins visibles, viennent ajouter à la complexité de ce phénomène…
Un détonateur social…
Les études visant à comprendre ce phénomène social sont abondantes et inscrites dans l’histoire contemporaine. Des sociologues et des experts du milieu académique ont constamment tenté d’apporter des explications depuis presque six décennies à ce phénomène. Dans ce sens, l’étude élaborée en 2008 par Braun et Vliegenthart a conclu que les perpétrateurs de violence portent des revendications politiques, mais aussi sociales et qu’ils profitent des actions et des réponses des institutions Etatiques et des forces de l’ordre, pour crier, parfois de manière violente, leurs préoccupations et revendications. Selon une hypothèse du sociologue EricDunning, dans son ouvrage Sports Matters, les événements sportifs sont des domaines dans lesquels d’autres problèmes de la société, souvent liés à la classe sociale, se révèlent : éthnie, politique, rivalités sociales, etc. Cette hypothèse se trouve confortée lorsqu’on examine les incidents de violence entre les supporters de certaines équipes européennes, notamment en Espagne, où les tensions extra-sportives intensifient la rivalité entre Barcelone et le Real Madrid, voire même entre l’atletico de Madrid et le Real Madrid, où en Italie, où l’antagonisme social historique entre le nord et le sud se manifeste lorsque la Juventus joue contre Napoli, ou bien en Argentine, lorsque le Boca Juniors «club du peuple», joue le River Plate le club des Millionnaires « Los Millonarios ». Daniel Wann de la Murray State University estime de son côté que les fans s’identifient dans leurs équipes et les considèrent en tant qu’extension d’eux-mêmes et se voient par conséquent autant menacés par une défaite que les joueurs. La violence, selon cette hypothèse, devrait être appréhendée en tant qu’expression de contrastes entre les populations, et serait, par conséquent, mieux étudiée au sein des sociétés où elle se produit. A la lumière de cela, quid du Maroc ? A l’instar des autres pays, le football au Maroc n’a pas échappé aux évolutions observées au niveau mondial et est devenu, progressivement, un élément social à la fois fédérateur et générateur de conflits. Il n’est plus possible de parler des supporters au Maroc sans évoquer la forte influence des ultras et des associations dans lesquelles se regroupent et s’organisent les supporters. Les stades sont devenus non seulement des espaces d’encouragement exclusivement sportif mais également des lieux d’expression de revendications sociales et économiques. Ce changement trouve probablement son origine dans les dynamiques sociétales de nos jours, qui enregistrent une décadence des solidarités traditionnelles et une baisse de croissance économique avec un impact conséquent sur le marché du travail.
Sport et revendications sociales : pour une approche droits humains…
Les actes de violence et les dépassements enregistrés lors de certains matchs du championnat national sont autant une sonnette d’alarme, voire un cri de détresse, montrant cependant l’urgence d’imaginer une stratégie globale, multidimensionnelle mais surtout concertée entre les différents acteurs nationaux. Les stratégies successives aspirant à lutter contre le phénomène ont toutes eu des résultats contrastés d’où la nécessité de l’adoption d’une approche pluridimensionnelle, conjuguant les visions et les efforts de l’ensemble des acteurs pertinents, qu’il s’agisse du ministère chargé du sport, du ministère de l’éducation et l’enseignement, du ministère de l’emploi mais également et surtout des institutions et acteurs intervenant dans le domaine des droits humains. Ceci s’impose par le fait que les stratégies adoptées auparavant ont négligé certains éléments essentiels et ont appréhendé la violence en usant des mêmes dispositifs et approches de gestion des foules, sans penser à mettre en place un outil de communication direct, durable et ouvert avec les leaders des différents ultras et supporters. L’approche souhaitée se doit d’être inclusive, d’autant plus que le sport a le potentiel de constituer un outil privilégié d’inclusion sociale, de promotion de développement durable, d’intégration et de propagation des messages de cohabitation et de tolérance auprès de ces jeunes.
Afin de lutter efficacement contre la violence tous azimuts dans le microcosme sportif marocain et parer aux risques de dérives sociales de plus en plus manifestes, les forces vives sont appelées à imaginer des programmes d’éducation aux droits et à la citoyenneté, qui soient adaptés aux réalités marocaines, mais surtout qui soient cohérents et associant également les actions des parents, de l’école, du tissu associatif et des médias. Il est essentiel de mettre l’accent sur la transmission des valeurs de base tout en essayant de les incorporer dans les valeurs publiques et le comportement quotidien des citoyens. L’éducation à la citoyenneté et aux droits dans notre pays peut constituer la solution tant souhaitée non seulement aux problèmes liés au sport mais également aux autres problèmes sociaux. Elle est capable de se placer en tant que vecteur d’équité et d’inclusion sociale susceptible de renforcer la cohésion entre les droits de l’individu et les obligations envers la société. Dans cette perspective, une démarche inclusive dans la gestion du fait sportif, commençant par l’implication des supporters dans l’élaboration des stratégies notamment en communication pourrait, comme premier résultat, impacter positivement l’image des forces de l’ordre auprès des supporters, qui considèrent souvent les autorités comme un adversaire et non un allié mobilisé pour les protéger et de leur garantir les conditions adéquates pour le déroulement des confrontations sportives. Il est grand temps de donner à l’éducation à la citoyenneté et aux droits la place qui lui échoit comme un élément essentiel de tout système d’éducation et de tout programme d’enseignement.