Benkirane ou le retour difficile !
Par Khalid Baddou, acteur Associatif
La Constitution marocaine stipule clairement que le chef du gouvernement est nommé du parti politique ayant obtenu la majorité des sièges lors des élections législatives. Le respect du jeu démocratique voudrait que la suite des élections du 7 octobre ne déroge pas à cette règle. Alors que le PJD aurait encore ses chances de se maintenir en tête de l’échiquier politique, Benkirane serait le favori de son parti pour briguer un second mandat à la tête de l’exécutif.
La question qui s’impose est la suivante : Benkirane serait-il l’homme de la situation pour gérer le sort de millions de Marocains pour cinq années supplémentaires ? Auquel cas, ce sera un événement historique au Maroc « post indépendance ».
Benkirane a plusieurs qualités, c’est une vérité que nul ne peut contester. Le terme de « bête politique » décrit parfaitement les atouts qui lui ont permis de faire passer des dossiers aussi chauds que celui de la décompensation ou de la réforme des retraites, et de résister pendant cinq années tumultueuses à la gestion d’une coalition hétéroclite de près de 50 ministres, incluant ceux et celles qui ont été limogés ou remplacés (du PJD, du MP, de l’Istiqlal et du PPS) pour différentes raisons.
L’homme est également un communicant solide qui s’adresse à son corps d’électeurs et de sympathisants avec le discours qu’il faut à travers les canaux qu’il faut. Alors que son dernier entretien télévisé sur les chaînes nationales remonte à 2013, Benkirane n’a cessé de multiplier les sorties physiques ou digitales pour réagir, commenter ou corriger. Il a instauré un style de communication qualifié de « populiste », ce qui n’a pas manqué de lui revenir en plein visage dans plusieurs affaires liées à son parti, à ses ministres ou à ses décisions.
Cependant, être une « bête politique » n’est pas suffisant pour relancer la dynamique économique, créer de l’emploi, attirer plus d’investisseurs et de touristes, et donner confiance à une large frange de la population, les jeunes qui se posent des questions légitimes sur l’avenir de leur pays.
Les querelles politiciennes ont marqué une bonne partie de l’actuel mandat, créant non seulement de longues périodes de temps mort mais aussi de tension, d’incertitude, d’hésitation des acteurs locaux (patronat, syndicats, corps professionnels…) et des opérateurs étrangers. Alors que le Maroc avait des chances de récupérer une grande partie des flux d’investissement destinés à l’Afrique du Nord, hors les aides des pays du Golfe, le premier semestre de 2016 a apporté une mauvaise nouvelle à l’équipe Benkirane, avec une baisse de près de 35% des investissements directs étrangers. Normal, dirait-on, les capitaux cherchent la stabilité, la visibilité et l’opportunité.
Autre indicateur parlant, la baisse du niveau de confiance des ménages au premier trimestre 2016 à son plus bas niveau depuis 2008. Selon le HCP : « Les perceptions par les ménages de l’évolution passée du niveau de vie se sont détériorées de 9,1 points par rapport au trimestre précédent et de 8,8 points par rapport au même trimestre de l’année passée. » Notons qu’on parle de perception, issue très souvent de l’ambiance générale qui règne dans le pays, à travers les médias, les débats publics, les échanges informels…
Benkirane n’assume certainement pas la responsabilité totale de ces détériorations, mais en tant que chef d’orchestre, son style et sa stratégie politique ont largement contribué à diviser plutôt qu’à fédérer, à réagir plutôt qu’anticiper, à frustrer plutôt qu’à conforter. Il n’a pas réussi à se faire apprécier comme chef de gouvernement de tous les Marocains, mais plutôt comme chef de ceux qui l’ont élu. Morsi en Égypte a fait de même, la suite est connue…
Le jeu démocratique voudrait que le prochain chef du gouvernement soit issu de la première composition politique aux législatives. Au cas où le PJD rempilerait, Benkirane serait-il le leader politique dont le Maroc a besoin ? Les péjidistes favoriseraient-ils le parti ou la patrie ?