Salé, la ville oubliée de l’Histoire?
Par Larbi Alaoui
SOS! Ce sigle de détresse signifie, pour rappel, « Save our souls » (Sauvez nos âmes) Il suffit d’en changer le dernier mot par un autre commençant aussi par « S » pour que cela devienne » Save our Salé »!
Salé la ville blanche, Salé la cité des corsaires! Salé, « cité-dortoir » des années 60 et 70 est devenue « cité-déportoir » de ce début du 21ème siècle. Ville marginalisée, oubliée, ville meurtrie, ville agonisante! Les deux Saints patrons de Salé, Sibi Benacher et Sidi Abdellah Ben Hassoune, ne font que se retourner, chacun dans sa tombe.
Salé même lésée par la capitale, nichée sur la rive gauche du séculaire Bouregreg, concernant les noms de certaines institutions. Ainsi, l’aéroport de Salé, sis à sept kilomètres de la médina, sur la route de Fès, s’appelle « Aéroport international Rabat-Salé » De même qu’une grande université, sise sur la rive droite, à l’orée de la forêt Maâmora s’appelle « Université internationale de Rabat »(UIR).
Mais passons sur ces anomalies linguistiques et faisons un tour à la médina, l’une des plus anciennes du Royaume! Un tour vite fait et prenons nos jambes à nos cous! Car quand Salé nous était si bien contée, elle ne valait pas un seul détour mais des dizaines de détours. Maintenant un petit tour est largement suffisant pour crier son indignation et sa colère. Dépassons la place Bab Sidi Bouhaja (Bab Al khabbaz, pour les anciens Slaouis), longeons l’unique petit jardin public, devenu délabré, devant lequel entre un café et un café, il y a un…café! Nous voilà arrivés à l’avenue du 2 Mars, près de « La Riviera », pâtisserie et boulangerie de la famille Sbaï, dont les gâteaux d’anniversaires succulents sont appréciés par les clients fidèles, dont le Palais royal.
Et là, le choc! A partir de Sidi Turki et jusqu’à Bab Lahkmiss (appelé aussi « Bab Fès »), des « ferrachas », ces marchands informels, dont partout. Des hommes et des femmes occupent impunément l’espace public et proposent œufs, fruits et légumes, vêtements et ustensiles ménagers. Un souk rural quotidien en ville!
Ouf! Quittons cette atmosphère irrespirable, cette artère bondée de monde et de marchandises, ses cris et vociférations et allons respirer un air marin frais et vivifiant du côté de la plage! La plage? Un camp de réfugiés plutôt! Des parasols sales, aux couleurs délavées, des estivants inciviques, des détritus partout! Déchets de pastèque, de melon, de figues de barbarie, des boîtes de conserves nauséabondes, des bouteilles de limonade et d’eau minérale en plastique…
Où sont passées les belles baraques rouge et blanc d’antan? Les douches publiques gratuites, le poste de police, celui de la protection civile, les maîtres nageurs veillant au grain, plus rien n’existe! « La Sirène » ne chante plus! Plus de bals musette les samedis soirs! A côté de ce café-restaurant, d’autres établissements du genre existaient, ouverts même en hiver où on pouvait déguster un bon thé slaoui à la menthe ou un bol chaud de « hrira » slaouie.
Un peu plus loin, existait un joli petit bois, « laghouiba », avec une végétation luxuriante et des arbres centenaires. Rasée la pauvre « petite forêt »! Remplacée par du béton laid et repoussant! Heureusement qu’il y a la Marina de Salé au lieu de place de « Lakhmiyess » où les crabes et les marécages régnaient en maîtres absolus. Une marina qui, elle, vaut le détour! Mais là aussi, il y a un bémol. Les résidences qui ont poussé comme des champignons cachent la médina que l’on pouvait admirer du quartier Hassan de Rabat. Cette belle vue imprenable de la médina a été prise par les promoteurs immobiliers!
La plage souillée, la médina envahie, mais aussi la trentaine de « foundouks » insalubres où s’entassent des centaines de familles sont parmi les maux dont souffre Salé. Certains de ces « foundouks » de la honte existent toujours au quartier Saf, en face du portail du collège Benchekroune, à Souk Lakbir et du côté de Bab Sebta, à « L’Houatine ».
Sans omettre la recrudescence de la criminalité dans plusieurs quartiers, aussi bien en ville qu’en périphérie, dans des quartiers qui portent mal leur nom: Hay Errahma (la pitié), Hay Al Inbiat (la renaissance), Hay Essalam (la paix)… D’autres problèmes socio-économiques sont le mauvais apanage de la cité des corsaires. Et une seule chronique ne peut prétendre en faire le tour, ni même dix, et les répertorier.
Espérons que la deuxième édition du « Prix de la presse »,de la Fondation pour la Culture et les Arts, présidée par Lotfi Mrini, dégagera d’autres articles de la presse papier qui aborderont divers aspects, davantage positifs que négatifs, de la rive droite du Bouregreg! Espérons également que certains responsables retrousseront leurs manches engourdies et sclérosées pour,enfin, panser les blessures béantes de cette ville martyre!
Pour l’heure et en attendant Godot, Salé agonise, Salé est moribonde! La deuxième ville du Royaume en termes de population, plus d’un million d’habitants au lieu des 60000 des années 60-70, « dakhil sour » (intra muros), à Bettana et à Tabriquet, crie au secours. SOS! Sauvez nos âmes! « 3at9o rouh a 3ibad Allah »! Il y a mort d’une ville! « Save our Salé! »
L.A.