Des médias qu’on protège avec classe et d’autres qu’on déclasse
Chronique de Pub – Il y a quelques années, en 2006 plus précisément, le CIAUMED a été créé. Un regroupement d’intérêt constitué par les chaînes télés publiques, leurs régies publicitaires, le groupement des annonceurs marocains (GAM) et l’Union des agences de conseil en communication (UACC).
Mandaté par la HACA, ce regroupement avait pour objectif de mettre en place une mesure d’audience pour la télé qui sera la référence unique pour l’ensemble des intervenants dans le secteur. Mettant par conséquent fin aux multiples études d’audience qui sont faites par plusieurs bureaux d’études et dont les résultats sont souvent contradictoires. C’était un premier pas vers l’organisation du secteur audiovisuel, mais aussi la mise en place d’une mesure implacable de protection des chaînes de télévisions publiques.
Le premier appel d’offre a été remporté par le bureau d’études Marocmétrie, filiale de Médiamétrie France, et les opérateurs ont eu droit à leur première étude d’audience officielle en 2008. Les données ne concernaient que les chaînes publiques, en l’occurrence, celles de la SOREAD et de la SNRT. A cette époque, certains groupes de télés arabes scandaient haut et fort qu’au Maroc, plus de 80% de l’audience se trouvaient dans le satellitaire et pointaient l’irrationalité du choix de la mesure unique des chaînes publiques. A cette époque-là, je l’avoue, j’étais complètement de leur avis.
Les données d’audiences de Marocmétrie étaient les seules « autorisées sur le marché » et la seule base de décision d’investissement publicitaire des annonceurs marocains. L’indignation de ces groupes du Moyen-Orient était tout à fait compréhensible puisque ces données ne les incluaient pas, leur posant par conséquent un vrai problème de commercialisation.
Le meilleur était encore à venir!
Comme toute entité qui cherche à prospérer, Marocmetrie a commencé à contacter certains groupes satellitaires arabes et maghrébins installés au Maroc, afin de les inclure dans le panel des médias mesurés. Petit hic! Pour que cela soit possible, ces chaînes devaient intégrer le CIAUMED. Chose qui ne pouvait se faire sans l’accord de la majorité des intervenants : GAM , agences publicitaires, chaînes télés et régies publicitaires. Cela ne se réalisera jamais!
A l’époque, je faisais partie du groupe Choueiri, la plus grande régie du Moyen-Orient, qui représente le groupe MBC. Je me rappelle l’enthousiasme des représentants de Marocmétrie qui nous proposaient leur solution de mesure d’audience. Mais je me rappelle surtout le long, très long silence qui a suivi ces réunions.
Comme écrit précédemment, pour qu’un média soit mesuré, il faut qu’il soit membre du CIAUMED, et pour en faire partie, il fallait qu’il y ait l’accord de la majorité des membres.
Jusque-là, tout allait bien!
Le GAM et l’UACC, représentent 50%. Les médias et leurs régies représentent les autres 50%. Pour avoir la majorité il faut au moins que l’une des chaînes ou l’une des régies donne son accord. Et c’est exactement la que tout se gâte pour les chaînes satellitaires. Qui est assez fou pour accepter l’entrée d’un concurrent dans le tour de table ? En tout cas, pas nos chères chaînes publiques.
Et les justifications du refus n’ont pas manqué. Il y a tout d’abord la raison classique : les chaînes satellitaires n’obéissent pas au cahier de charges contraignant que la HACA impose aux chaînes hertziennes locales, ce qui représente de la concurrence déloyale. Il y a eu aussi l’histoire de la sortie de devise vers des pays étrangers, alors que notre pays en a le plus besoin. Enfin, il y a eu les voix des fervents défenseurs des médias nationaux forts, qui se sont élevés contre ce nouveau genre de colonialisme et qui ont prôné la sauvegarde des médias nationaux qui payent leurs impôts au Maroc, emploient des Marocains… et ont fortement plaidé pour avoir des médias nationaux forts.
Quelles que soient les raisons retenues, saluons le super mécanisme mis en place au niveau du CIAUMED pour protéger les chaînes publiques de l’envahisseur satellitaire! C’est vrai, on ne badine pas avec les centaines de millions de dirhams que drainent ces médias à l’Etat.
Alors, pourquoi notre Etat, si pointilleux, si rigoureux et si protecteur, quand il s’agit de médias publics, ne remue pas le petit doigt quand il s’agit de médias privés ? Quand il s’agit de presse digitale privée ? Pourquoi la politique des deux poids, deux mesures est de mise quand l’argent ne va pas dans les poches de l’Etat ? Quand il ne s’agit plus de médias publics, n’est-ce plus une cause nationale ? Les journalistes et employés des médias publics sont-ils donc plus Marocains que ceux qui sont payés par les médias privés ? Ces derniers ne méritent-ils pas aussi un emploi pérenne ? Nos supports de presse digitale n’ont-ils pas le même droit à la dignité, comme c’est le cas pour les médias publics ?
Au lieu de cela, nous n’avons droit qu’à une jungle où des multinationales bourrées de fric assombrissent notre avenir!
El Mehdi Allabouch