Racisme: le Maroc stigmatise ses migrants
Par Bahaa Trabelsi, journaliste et écrivaine
Casablanca, Rond point boulevard Ghandi, avenue Yacoub El Mansour, au feu rouge, de jeunes syriennes mendient, leurs enfants sur le dos, un passeport à la main.
Elles ont rapidement compris les us et coutumes locales. C’est aux feux rouges que cela se passe. Une femme leur crie de ne pas gêner la circulation, finit par les insulter hargneusement.
Un peu plus loin, sur le boulevard Ghandi, je m’arrête pour acheter du pain, et là c’est un subsaharien qui demande de l’aide à un couple de piétons quinquagénaires. L’homme commence par toiser le mendiant, puis réagit violemment, s’indigne et hurle à l’infortuné: «retourne chez toi azzi, vous nous avez envahi, retourne d’où tu viens, il n’y a pas de place pour toi ici».
Le jeune homme outré lui répond du tac au tac: «C’est ton roi Mohamed VI qui m’offre l’hospitalité». Je vous passe les détails scabreux de la suite de la conversation. La foule s’agglutine autour d’eux. Les avis sont partagés, mais hélas la majorité des personnes sont d’accord avec le xénophobe. Il est vrai que chez nous, il y a d’abord eu le régionalisme avec en toile de fond cette haine de l’autre, du fassi, du 3roubi, du chelh. Les noirs sont des azzi, des khadems, des hartanis. La haine des hommes de couleur vient de loin, du temps de l’esclavage. Mais aujourd’hui, en plus, le noir est un étranger, il vient d’ailleurs et déclenche de nouvelles phobies. Ce nouveau noir est « non musulman», «porteur du sida», «son pays est en guerre», ou je ne sais quel autre mal qui dérange.
Les médias ne sont pas innocents, ils ont alimenté ces représentations dangereuses. Et le racisme est bien là, chez nous, au Maroc supposé être terre d’accueil et de métissage, qui vend à coup de publicité touristique son hospitalité légendaire. Je n’en reviens pas de cette violence et de ce manque d’empathie.
Les Marocains ont peur des différences et se cloitrent dans la haine de l’inconnu. Mais, dieu merci, les Marocains savent également se battre contre les discriminations et la bête immonde qu’est le racisme. A titre d’exemple, cette excellente initiative, celle entreprise par l’union des peuples maghrébins contre le racisme ordinaire. La première campagne maghrébine qui lutte contre les discriminations raciales.
Lancée le 21 mars dernier, Journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale, et organisée sous le slogan «Ni Oussif, ni azzi, baraka et yezzi», «Ni esclave, ni négro, stop, ça suffit», elle rassemble des activistes et des associations nationales du Maroc, de la Tunisie, d’Algérie et de Mauritanie. Cette campagne se compose de conférences, d’ateliers et d’événements artistiques.
Elle durera jusqu’au 20 juin. Etre raciste, c’est être reclus, séquestré dans ses préjugés et de ses peurs. C’est aussi manquer de sérénité par rapport à sa propre identité, avoir peur de l’entacher. C’est oublier que la richesse vient de la diversité et des différences. Et que ce sont ces différences qui alimentent les libertés et le progrès.