Autofiction(s): une expo pas comme les autres de Adil Kourkouni
Lauréat du concours organisé par le LCC Program, sous l’égide de la Fondation Alliances, le photographe et artiste-peintre marrakchi Adil Kourkouni revient avec nous sur ses expérimentations plastiques et photographiques. L’exposition est accueillie par la Galerie Think Art de Casablanca.
Propos recueillis par Olivier Rachet
Le site info : Le point de départ de votre travail : des blisters, ces petites plaquettes d’aluminium contenant les médicaments, que vous dites sculptez depuis votre enfance. Quand est apparue l’idée de photographier ces installations pour le moins étonnantes ?
Adil Kourkouni : Quand j’étais petit, à l’école primaire, je jouais déjà avec les blisters. Je n’avais pas l’idée de faire de l’art. Au lycée, en arts appliqués, je n’avais jamais entendu parler d’installations ou de ready made. C’est quand j’ai intégré les Beaux-Arts que j’ai entendu parler pour la première fois d’installation. En 2010, j’ai eu un grave accident. Je me suis soigné pendant trois ans et huit mois. En 2012, je
suis allé à Tétouan où j’ai découvert, en prenant des médicaments, que j’avais toujours dessiné des visages. C’est le visage qui m’intéresse. Je me suis souvenu avoir gravé sur des blisters des visages, lorsque j’étais enfant. J’ai repris cette pratique qui, pour moi, remonte à l’enfance. J’ai alors intégré l’ESAV et j’ai poursuivi cette recherche. Dans mon projet de fin d’étude, j’ai d’ailleurs travaillé sur l’identité visuelle d’une société pharmaceutique spécialisée dans les psychotropes.
Le site info : Chaque photographie donne à voir une installation différente où les matériaux les plus anodins sont convoqués. Vous semblez procéder à la façon des artistes surréalistes qui cherchaient à rapprocher deux images les plus éloignées possibles entre elles. Ainsi faites-vous coexister dans la même photo les blisters avec du coton, du fil barbelé et même une passoire ! Comment mettez-vous en scène vos images ? Laissez-vous libre part à l’improvisation ?
Adil Kourkouni : En opérant ces mises en scène, je laisse agir l’improvisation. C’est un jeu totalement conscient. Des accidents se produisent d’eux-mêmes, qui pour la plupart sont imprévus. C’est le fruit du travail, ce n’est jamais totalement gratuit. En ce qui concerne les matériaux, prenons l’exemple du fil : celui-ci ressemble dans l’aspect colorimétrique au blister. C’est un fil d’étain. Enfant, j’avais entendu des femmes parler de la cuisson de l’étain qui, en se consumant, se liquéfie. On voit apparaître des formes. C’est une sorte de paréidoli. C’est la raison pour laquelle j’ai mis du fil d’étain sur des portraits, notamment celui de Freud.
Le site info : L’exposition comporte une vidéo étonnante dans laquelle vous abordez pêle-mêle les thèmes de la naissance, de la souffrance, de la maladie et de la disparition. On vous voit notamment en position christique, allongé au milieu de blisters dessinant une croix. Les blisters, de leur côté, prennent la forme de masques particulièrement menaçants. Qu’est-ce que la vidéo apporte à votre travail de photographe et de plasticien ?
Adil Kourkouni : Je ne me considère d’abord ni comme un plasticien ni comme un photographe. Artiste visuel, à la rigueur, par rapport à ce projet, malgré la présence du son. Un artiste polyvalent sans doute. Concernant la vidéo, je dirais qu’elle est composée d’images animées, en mouvement. Le point de départ de ce travail, ce sont d’abord des dessins, une installation que j’ai intégrée. J’ai conçu le décor, écrit un scenario, un story-board. Mais j’ai surtout essayé d’éviter la narration. En travaillant s’est produit ce que j’appelle un accident, la matière première s’est transformée peu à peu, notamment au moment du montage des rushs.
Le site info : Vous avez aussi eu l’idée de recourir à une application avec laquelle le public pourra interagir. Pouvez-vous nous présenter ce travail ?
Adil Kourkouni : C’est une sorte de Snapchat. Ce sont des masques comme dans mon travail sur les blisters. Je cherche à montrer que les visages sont stéréotypés, uniformisés. Snapchat c’est fake life ! La façon dont on utilise cette application, tout est faux. J’ai un travail de prévu aussi sur les émoticônes. En darija, on a une expression qui dit da7ka safra, laquelle existe avant même les nouvelles technologies. Ils sont tous dans la merde, mais ils sont dans une sorte de concurrence du bien-être. Mais le fait d’être en concurrence, c’est déjà être dans la merde !
Le site info : L’exposition comporte enfin toute une série de dessins et de tableaux que l’on peut voir comme autant de travaux préparatoires à votre série photographique. Vous avez souvent recours à la pratique du collage. Comment définiriez-vous votre approche ?
Adil Kourkouni : Ce ne sont pas seulement des travaux préparatoires. Quatre ans séparent chacune de ses pièces. C’est plutôt un work inprogress. Le collage c’est une pratique facile à exploiter. C’est une sorte de ready made préfabriqué. Mais il y aussi des peintures.
Le site info : Les gens qui vous connaissent savent aussi que vous êtes un musicien hors pair. Que représente pour vous la musique ? Quel lien entretient-elle, selon vous, avec votre démarche d’artiste visuel ?
Adil Kourkouni : Le peintre Kandinsky a associé chaque note musicale à une couleur mais aussi à un astre. Il existe un mot pour définir les rapports entre les sens : les synesthésies. On ne travaille jamais avec un seul sens. On travaille avec les cinq sens à la fois. Tout influence tout. C’est aussi pour ça que j’ai essayé l’art vidéo, même si le son n’a pas encore été ajouté. Je suis en train de réfléchir à une installation sonore, qui comprendrait différentes sortes de bruitage. J’aimerais qu’on me définisse comme un artiste visuel et auditif.
O.R.
Exposition Autofiction(s), Adil Kourkouni, Galerie Think Art, 130 Avenue Zerktouni, jusqu’au 15 novembre 2017.