Chroniques

Existe-t-il un Œdipe marocain ?

ghizPar Ghizlaine Benjelloun, pédopsychiatre

Œdipe c’est d’abord le mythe: « Tu tueras ton père et tu épouseras ta mère». Selon le fondateur de la psychanalyse S. Freud, tous les enfants durant leur développement sont inconsciemment attirés par le parent de sexe opposé, tout en désirant éliminer le parent du même sexe pour prendre sa place. La résolution de ce complexe réside dans le renoncement à ce désir, l’intégration de la loi des humains, à savoir l’interdit de l’inceste. Ainsi l’enfant peut se tourner vers des partenaires extérieurs, vers le monde de la socialisation. Il faut se séparer pour pouvoir être autonome, indépendant.

Qu’en est-il de nos pères, nos maris et nos garçons dans notre société ? Ici et maintenant. Tout porte à croire que les hommes ne renoncent pas à leurs mères.  Ils restent les appendices de leur premier amour interdit. Parvenus à l’âge adulte, ils sont parfois davantage les fils de leurs mères que les pères de leurs propres enfants. Comme si les processus aboutissant à l’indépendance et à l’individuation restaient bloqués à des stades infantiles. Pourquoi gardent-ils un tel degré de fusion mère-fils à l’âge adulte ? Plusieurs réflexions viennent à l’appui de ce questionnement.

Dès le premier âge, le fait d’être allaité au sein maternel pendant une longue période pouvant atteindre deux années complètes, de partager trop longtemps le lit des parents peut fixer une dépendance, légitimer ce désir.

Le sicial vient se greffer sur l’archaique et le système familial traditionnel va contribuer à perpétuer et à entretenir le sentiment de dette et de loyauté envers les parents. Nous rencontrons ici le spectre bien connu dans notre culture des notions de «ridaa» (bénédiction) ou de «sakht» (malédiction)  qui hante les enfants lorsqu’ils sont confrontés au devoir vis-à-vis de leurs parents ou au contraire au vœu de quitter le milieu familial en donnant priorité à leurs aspirations individuelles.

Ainsi, le chantage affectif des parents reste l’apanage des gestions de conflits, au détriment de l’utilisation du raisonnement logique. Ce ne sont là que quelques éléments susceptibles d’expliquer cette difficulté à sortir de l’étape œdipienne et la persistance de l’infantile à un stade adulte.

Que résulte-t-il de tout cela ? Des difficultés à faire des projets individuels qui sortent du cadre autorisé et attendu dans le giron familial, des entraves pour accéder au statut d’adulte mature et individualisé, des identités confuses et confondues. Les conflits conjugaux sont fréquents, liés en général aux interférences parentales au sein du couple. Certes, il existe des soubresauts de révoltes contre l’emprise parentale, mais ils n’empêchent pas la transmission trans-générationnelle d’une tradition au sein de laquelle l’attachement quasi-fusionnel à ses ascendants se perpétue.

Reste que les contraintes religieuses et sociales sont aussi des fondements culturels essentiels au développement psycho-affectif de l’enfant. Il convient donc de prendre en compte dès aujourd’hui les fondements de notre culture arabo-musulmane en vue d’une meilleure réussite du processus de séparation-individuation.

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