Découvrez l’Iran dans une expo fascinante
Les rencontres photographiques de la ville d’Arles, dans le sud de la France, mettent à l’honneur la vitalité créatrice de la photographie iranienne. Quand le souci documentaire rivalise avec les expérimentations les plus audacieuses !
Par Olivier Rachet
Ce ne sont pas moins de 66 photographes, d’hier et d’aujourd’hui, qui sont mis en avant dans l’une des expositions les plus fascinantes des Rencontres photographiques d’Arles. L’Iran, ce pays dont on ne connaît bien souvent que des bribes d’histoire. Une civilisation perse ayant donné de grands noms de poètes, encore célébrés aujourd’hui. Hafez de Chiraz, Omar Khayyam, Rûmî, Ferdowsî : ils ont chanté les plaisirs, ont célébré un âge d’or de conquêtes et l’apogée d’une grande civilisation. On leur rend encore hommage aujourd’hui. C’est vers cette époque préislamique que semblent regarder encore de jeunes photographes qui prennent plaisir à magnifier ce que les perses ont pu créer de plus beau.
On songe à Sadegh Tirafkan qui orne ses portraits de femmes modernes de motifs se référant à des légendes anciennes ou à Jalal Sepehr ou Babak Kazemi qui s’emparent de motifs persans pour décrire, par exemple, la difficulté pour les couples de vivre aujourd’hui librement leur amour. Dans une série intitulée « La sortie de Shirin et Farhad », Kazemi enroule ses amants dans de somptueux tapis qui les séparent plus douloureusement qu’ils ne les unissent.
Revisiter l’Histoire
L’exposition permet aussi de suivre les grandes dates de l’Histoire récente de l’Iran, de la révolution islamique de 1979 et de l’avènement de la République islamique à la guerre de huit ans contre le voisin irakien, en passant par l’élection du réformateur Mohammad Khatami, en 1997 puis celle de l’ultra-conservateur Mahmud Ahmadinejad, en 2005. De nombreux clichés relèvent d’un souci documentaire – comme dans ce portrait saisissant de Kaveh Kazemi d’une femme en tchador brandissant une arme et levant la main en signe de défi, lors des journées révolutionnaires de 1979. On découvre alors une jeunesse en première ligne de la contestation ayant contraint le shah Mohammad Reza Pahlavi à quitter le pouvoir. De nombreuses manifestations estudiantines, dès 1977, sonnaient déjà le glas d’une fin de règne qui allait voir arriver au pouvoir l’ayatollah Khomeyni.
Mais c’est le long conflit avec l’Irak voisin, soutenu alors par les plus grandes puissances occidentales craignant que la révolution ne fasse tache d’huile dans la région et voulant contenir une poussée idéologique jugée néfaste, qui semble avoir marqué durablement la plupart des photographes. Beaucoup de jeunes artistes, à l’image de Shadi Ghadirian, Saba Alizadeh ou Gohar Dashti s’inspirent encore de scènes de guerre pour alimenter leur travail de recherche.
La première donne à voir dans des compositions extrêmement soignées le regard d’une femme sur la guerre : « Nos photos de guerre sont prises par des hommes sur les champs de bataille, écrit-elle ainsi, ou par des photojournalistes. Mais personne ne connaît encore le regard féminin sur la guerre. » Dans une série intitulée « La lumière et la terre », Saba Alizadeh projette sur de simples intérieurs des images de guerre, se jouant ainsi de codes iconographiques hétérogènes. On songe souvent aux images de martyrs chrétiens ou musulmans qui ont jalonné l’histoire des arts. Gohar Dashti, de son côté, se plaît à transplanter des personnages contemporains sur des champs de bataille du passé, créant des effets de dissonance particulièrement étonnants.
Iran, comment ça va avec la douleur ?
L’une des forces de cette exposition magnifique est de nous donner à voir le visage souvent complexe d’un pays en pleine mutation. Si l’Iran reste un pays ultra conservateur et autocratique, il semblerait aussi qu’une jeunesse s’éveille au désir et à la liberté. Les portraits de Shadi Ghadirian, en noir et blanc, montrent de jeunes filles portant le hijab mais aussi à vélo ou tenant une canette de Pepsi : « Pour moi, écrivait la photographe en 1998, une femme, une femme iranienne, une femme comme moi, est à la croisée de toutes les frontières inconnues qui séparent la tradition de la modernité. »
Mais ce qui frappe le plus le regard, ce sont ces photos parfois apocalyptiques d’un pays gangrené par la pollution ou les effets du réchauffement climatique – comme dans les séries « Les Yeux de la Terre » de Solmaz Daryani ou « Mort silencieuse » de Danial Khodaie – , la persistance d’exécutions publiques où des foules silencieuses armées de téléphones portables assistent impassibles aux pendaisons, la tragédie de ces femmes toxicomanes sur lesquelles Tahmineh Monzavi porte un regard sans concession ou de ces femmes condamnées à mort dont la série « Meurtrières » de Yalda Moaiery arrive à saisir encore la part de dignité et de courage.
Poésie, mon beau souci
On connaît la grandeur de la poésie perse et l’attachement des Iraniens à leurs plus grands écrivains. On connaît aussi la puissance évocatoire du cinéma iranien, grâce notamment à la figure de Abbas Kiarostami, ayant obtenu une palme d’or au festival de Cannes, en 1997, pour son film Le Goût de la cerise. La poésie est partout dans une exposition où le souci documentaire laisse le plus souvent place à des visions tantôt oniriques tantôt fantaisistes ou mélancoliques. On pourra rire des mises en scène de Mortesa Niknahad et Behnam Zakeri qui dans une série intitulée « Espace public » placent des hommes à moitié nus dans d’immenses chaudrons alimentés par des bouteilles de gaz, sur une plage abandonnée. On pourra surtout s’émouvoir devant les sublimes photos de Kiarostami, tirées de la série « Snow white », où des paysages enneigés laissent se dessiner, dans une solitude bouleversante, des arbres de toute beauté. On se dit qu’avec les photographes iraniens, décidément, le temps de la résurrection par l’image n’a jamais été aussi proche !