Maroc

Abderrahim Houmy. “Stratégie Forêts du Maroc : les communautés locales comme piliers du changement”

Abderrahim Houmy
Directeur général de l’ANEF

À travers cet entretien, le DG de l’ANEF fait le point sur la stratégie Forêts du Maroc 2020-2030 et la place accordée à la population rurale et locale ainsi que sur les principaux résultats obtenus à ce jour et les défis qui persistent.

Les espaces forestiers constituent un levier de développement pour la population rurale. Quelle place la stratégie Forêts du Maroc 2020-2030 accorde-t-elle aux communautés locales ?
Selon le recensement national de 2022, les écosystèmes forestiers du Maroc couvrent près de 9,3 millions d’ha. Ils représentent un patrimoine naturel et socio-économique de première importance, non seulement pour l’équilibre écologique, mais aussi pour les moyens de subsistance de quelque 7 millions de personnes vivant en zones rurales. Longtemps, la gestion forestière a été marquée par une approche centralisée, limitant la participation des communautés locales à des droits d’usage restreints comme le pâturage, la collecte de bois ou de plantes médicinales.

Cette approche descendante a généré des tensions et montré ses limites face aux pressions croissantes sur les ressources forestières. Consciente de cette réalité, l’administration forestière a progressivement amorcé un virage vers une gestion plus inclusive, notamment à travers la création de coopératives forestières valorisant les produits du terroir (bois, plantes aromatiques et médicinales) et la mise en place d’une compensation pour la mise en défens des périmètres reboisés. Le lancement en 2020 de la stratégie Forêts du Maroc 2020-2030 marque une étape majeure dans l’institutionnalisation de la gestion participative.

De quelle façon cette feuille de route a-t-elle fait des communautés locales de véritables partenaires dans la préservation et la valorisation durable des forêts ?
Il essentiel de noter que plusieurs leviers structurants sont inclus dans la stratégie Forêts du Maroc 2020-2030 couvrant ce volet. Tout d’abord, avec la création de l’ANEF, qui a été dotée d’un nouveau mode de gouvernance plus ouvert et plus moderne. De surcroît, le programme Forêts productives favorise les partenariats entre l’État, les collectivités territoriales, les opérateurs économiques et les usagers locaux.

L’élaboration de Plans de développement forestier communaux (PDFC), contractualisés avec des Organismes de développement forestier (ODF), est l’une des réponses à cette question. Ils sont adaptés aux spécificités de chaque territoire et intégrés aux programmes annuels de l’ANEF. Le but est le déploiement de 500 Agents de développement de partenariat (ADP) d’ici 2030 alors que 96 sont déjà opérationnels dans 110 communes pour appuyer les usagers et animer la dynamique participative sur le terrain.

Outre la création de 200 ODF d’ici 2030, dont 84 sont déjà actifs, afin de structurer l’action des communautés à l’échelle communale, notre stratégie aspire aussi à renforcer le tissu coopératif forestier, avec quelque 300 coopératives regroupant plus de 18.000 adhérents, pour appuyer la valorisation des produits forestiers et développer des projets communautaires générateurs de revenus.

Un autre volet innovant de la stratégie réside dans la révision du mécanisme de compensation de mise en défens, qui incite les associations de développement locales à surveiller et protéger les zones de reboisement. Le montant de la compensation a été sensiblement revalorisé : de 250 à 1.000 DH/ha/an (et 1.100 DH pour l’arganeraie), traduisant ainsi une volonté forte de reconnaître le rôle actif des communautés dans la protection des forêts.

Enfin, la stratégie prévoit la mise en place de mécanismes de financement innovants, comme les paiements pour services environnementaux (PSE), qui rétribuent les pratiques durables mises en œuvre par les populations locales. En somme, Forêts du Maroc n’est pas seulement une stratégie de reforestation ou de protection des ressources : c’est aussi un projet sociétal, au service du développement humain, de l’inclusion et de la durabilité, avec les communautés locales comme piliers du changement.

Où en est la mise en œuvre de la stratégie nationale Forêts du Maroc 2020-2030 ? Quels sont les principaux résultats obtenus à ce jour ?
Pour les principaux résultats enregistrés, notamment en termes de sécurisation du foncier forestier, un total de 480.000 ha de forêts ont été immatriculés entre 2020 et 2024, avec une prévision de 250.000 ha supplémentaires d’ici fin 2025. Ce rythme accéléré tranche nettement avec la moyenne historique (18.000 ha en 2005), traduisant une volonté claire de consolider la propriété de l’État et de sécuriser les projets forestiers.

Concernant la réforme du modèle de gestion territoriale, un nouveau mode d’organisation territoriale a été instauré, basé sur la séparation fonctionnelle des métiers forestiers : la surveillance forestière, le génie forestier et le partenariat local sont désormais assurés par des structures spécialisées, pour plus d’efficacité et de lisibilité. Ce modèle, expérimenté à Khénifra et Ifrane, est en cours de généralisation dans les zones prioritaires.

Pour ce qui est du renforcement de la police forestière et lutte contre les infractions, des partenariats structurants ont été conclus, notamment avec la Cour de cassation et la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN), pour améliorer l’application des lois forestières, intégrer les espaces urbains dans la lutte contre les infractions environnementales et renforcer la traçabilité.

S’agissant de l’implantation d’un dispositif de gestion participative des forêts, la stratégie a placé les communautés locales au cœur de l’action forestière. Dans ce sens, 96 ADP sont déjà opérationnels dans 110 communes, sur un objectif de 500 à horizon 2030. Aussi, 84 ODF créés, sur une cible de 200 d’ici 2030 et 300 coopératives forestières, ont été structurées. Regroupant plus de 18.000 adhérents, elles œuvrent à la valorisation des produits forestiers.

Pour la revalorisation des mécanismes incitatifs, la révision de la loi sur la mise en défens a permis d’augmenter la compensation annuelle de 250 à 1.000 DH/ha/an, et jusqu’à 1.100 DH/ha/an pour les forêts d’arganier, renforçant l’adhésion des communautés aux projets de reboisement.

Qu’en est-il du programme de reboisement dont l’objectif tracé est d’atteindre 600.000 ha d’ici 2030 ?
La cadence annuelle de plantation est passée de 50.000 à 70.000 ha, avec une montée progressive vers 100.000 ha/an. Des réformes techniques et organisationnelles ont été engagées pour garantir la réussite des plantations, notamment l’amélioration de la gestion des semences et des pépinières et la modernisation des entreprises de reboisement ainsi que le recours au numérique pour le suivi.

Il est aussi question de la valorisation des parcs nationaux et du développement de l’écotourisme avec la signature d’une convention d’envergure pour le développement de l’écotourisme dans le Parc national d’Ifrane (734 MDH mobilisés), sans oublier le lancement du projet «Sports de nature au service de la biodiversité». Les appels à manifestation d’intérêt pour des projets écotouristiques en partenariat avec le secteur privé ont été également lancés et le Plan directeur d’investissement (PDI) pour les forêts productives a été validé.

Ce référentiel stratégique, approuvé par le Conseil d’administration de l’ANEF en janvier 2025, vise à promouvoir des Partenariats public-privé pour la gestion durable des forêts à fort potentiel économique, via des modèles de concession adaptés.

S’agissant des financements internationaux, un total de 557,6 millions d’euros a été mobilisé sur la période 2021-2027, dont 17% sous forme de dons, représentant 99% des financements additionnels nécessaires à la mise en œuvre de la stratégie. Ces financements soutiennent à la fois les investissements et les programmes d’assistance technique.

Quels sont les principaux défis rencontrés lors du déploiement de la stratégie ?
Malgré les avancées notables, plusieurs défis persistent, à commencer par la forte pression anthropique sur les ressources forestières, exacerbée par des usages conflictuels qui fragilisent l’équilibre entre conservation et développement local.

À signaler aussi les effets du changement climatique, avec l’augmentation des épisodes de sécheresse et la baisse des précipitations, affectant les résultats du reboisement. Pour les défis liés à la gouvernance participative, ils nécessitent encore un accompagnement renforcé des ODF et ADP pour structurer durablement l’implication locale.

En ce qui concerne le cadre réglementaire en transition, il nécessite aussi une mise en application rigoureuse des nouvelles dispositions relatives aux concessions, aux plans d’aménagement et aux filières productives. Par ailleurs, les capacités techniques et logistiques sont à renforcer, notamment en matière de travaux sylvicoles, de suivi digitalisé et de structuration interne de l’ANEF pour une mise en œuvre efficace.

En matière d’emploi, la stratégie Forêts du Maroc prévoit la création de 27.500 emplois directs supplémentaires, dont 10.000 dans la forêt participative, 6.000 dans la filière productive et 11.500 dans la filière écotouristique. Comment comptez-vous atteindre ces objectifs ?
L’atteinte des objectifs en matière d’emploi s’appuie sur une approche intégrée, territorialisée et inclusive, mobilisant l’État, les collectivités territoriales, les acteurs privés et les populations rurales. Dans ce sens, la stratégie vise à transformer la forêt en un levier structurant de développement rural et de création d’emplois durables, grâce à trois leviers.

Pour le Développement de la forêt participative (10.000 emplois), ce levier constitue un pilier fondamental de la stratégie, avec pour ambition de renforcer l’implication des populations locales dans la gestion durable des ressources forestières. Pour le reboisement massif, le programme passera progressivement de 50.000 à 100.000 ha par an à l’horizon 2030.

Ce rythme permettra de générer près de 30 millions de journées de travail sur la durée de la stratégie. À cela s’ajoute la valorisation des produits forestiers à travers l’appui aux coopératives et associations locales et les services environnementaux via le développement des mécanismes de rémunération pour services environnementaux (PSE) qui permettront de créer des emplois autour de la surveillance forestière, de la conduite sylvicole et de la restauration écologique, tout en valorisant les efforts des communautés rurales pour préserver les écosystèmes.

En ce concerne le renforcement de la filière productive (6.000 emplois), la stratégie mise sur la dynamisation des filières forestières à fort potentiel économique à travers une approche orientée vers l’investissement privé durable via des Partenariats public-privé (PPP). Le programme de concession forestière permettra d’attirer les investissements dans la valorisation des ressources ligneuses (pins, eucalyptus) et non ligneuses. Il est question aussi de renforcer le tissu économique local en développant les unités rurales de transformation et de valorisation afin de favoriser la création d’emplois locaux tout au long des chaînes de valeur.

Pour les investissements mobilisés, un volume de plus de 1,25 MMDH, porté par le secteur privé avec un éventuel appui des bailleurs de fonds, est prévu sur la durée de la stratégie. Ce programme sera étendu à d’autres produits comme les PAM, la résine de pin ou le liège, offrant ainsi des opportunités d’emploi diversifiées et pérennes.

Pour l’expansion de la filière écotouristique (11.500 emplois), la valorisation durable des écosystèmes forestiers à travers l’écotourisme constitue une opportunité stratégique de développement économique local. Il est question, dans ce sens, d’aménager 10 parcs nationaux avec pour ambition d’atteindre 1 million de visiteurs à l’horizon 2030.

Il s’agit aussi d’impliquer le secteur privé à travers l’encouragement d’investissements dans les domaines de l’hébergement, de la restauration et des activités de loisirs en pleine nature, notamment au sein des aires d’adhésion des parcs. Outre la promotion des initiatives locales (coopératives et associations), le programme de formation et d’appui aux jeunes et aux habitants locaux permettra l’émergence d’une nouvelle génération de guides, animateurs et entrepreneurs écotouristiques.

Yassine Saber / Les Inspirations ÉCO


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