Economie

Consommation électrique : les sept visages de la crise énergétique africaine en 2024

Alors que l’Afrique affiche une croissance électrique globale de 3,3% en 2024, les disparités nationales révèlent des enjeux critiques : dépendance aux fossiles, vulnérabilités climatiques, et fractures sociales. Détails.

+3,3% de consommation électrique en Afrique en 2024 : un chiffre moyen qui masque bien des écarts. Le rapport Electricity 2025 de l’Agence internationale de l’énergie (IEA) met en lumière une réalité contrastée en Afrique : si la consommation d’électricité progresse globalement, les dynamiques nationales révèlent des é-carts profonds, allant de +10% au Sénégal à -6% au Nigéria. Des variations qui reflètent non seulement des contextes énergétiques hétérogènes, mais aussi des défis structurels, climatiques et politiques.

Au-delà des chiffres, les disparités observées révèlent que le continent est à la croisée des chemins. Alors que le Sénégal et le Kenya misent sur les renouvelables et le gaz, l’Algérie et l’Afrique du Sud restent prisonnières des combustibles fossiles.

Le Maroc et l’Égypte naviguent entre ambitions vertes et contraintes climatiques, tandis que le Nigéria incarne l’urgence d’une réforme structurelle. Zoom sur ces sept pays clés, classés par taux de croissance de leur consommation entre 2023 et 2024.

Sénégal (+10%) : une croissance électrique record
Avec une hausse de 10% de sa consommation électrique en 2024 – la plus forte progression parmi les sept pays listés par l’AIE –, le Sénégal incarne les espoirs et les contradictions d’une Afrique subsaharienne en quête de sécurité énergétique.

Cette performance, portée par la centrale gazière Cap des Biches (120 MW) et le renforcement des réseaux (sous-stations de Ndindy et Linguère), masquent une dépendance critique aux importations : 85% de l’électricité était encore générée par des combustibles fossiles en 2022, principalement du fioul lourd et du gaz naturel liquéfié (GNL).

Pourtant, le pays mise sur un double pari : accélérer sa transition verte (objectif de 40% de renouvelables d’ici 2030) tout en exploitant son gaz offshore (projets Yakaar-Téranga et GTA) pour réduire les coûts.

Cette stratégie, inscrite dans le Plan Sénégal Émergent, bute sur des réalités socio-économiques brutales. 62% des ruraux restent sans accès fiable à l’électricité, et la hausse des tarifs de 10% en 2023 – visant à réduire des subventions représentant 3% du PIB – a aggravé la précarité énergétique des ménages modestes.

«Le Sénégal montre que croissance ne rime pas nécessairement avec résilience. Sans réformes structurelles – tarifs différenciés, déploiement massif de mini-réseaux solaires –, le fossé ville-campagne se creusera», indique le rapport de l’AIE.

Les projets en cours, comme l’interconnexion avec la Gambie et la centrale solaire de Diass (50 MW), peinent à contrebalancer l’expansion du gaz. Le parc thermique devrait croître de 375 MW d’ici 2026 (centrale de Saint-Louis), tandis que les renouvelables stagnent à 15% du mix énergétique.

Dans ce contexte, le Partenariat pour une transition énergétique, signé en 2023, qui mobilise 2,5 milliards d’euros, pourrait être un levier, à condition de prioriser l’accès universel et de rompre avec le modèle centralisé, hérité de l’ère coloniale. Le Sénégal doit ainsi concilier urgence climatique (vulnérabilité aux inondations et sécheresses) et justice sociale, dans un équilibre où chaque mégawatt supplémentaire compte.

Algérie (+5,4%) : une dépendance critique au GAZ
Avec une hausse de 5,4% de sa consommation électrique en 2024, l’Algérie affiche une dynamique apparemment solide, portée par un parc thermique en cours de modernisation – notamment la centrale CCGT de Mostaganem (1,5 GW) partiellement opérationnelle – et une demande record de 19 GW atteinte en juillet 2024. Cependant, cette performance cache une réalité inquiétante : le mix énergétique reste ancré dans le siècle dernier, avec 99% de gaz naturel et à peine 1% de renouvelables.

Pourtant, le pays dispose d’atouts majeurs : un ensoleillement parmi les plus élevés au monde (3;000 heures/an) et des ambitions affichées (15 GW de renouvelables d’ici 2035). Mais les réalisations tardent : malgré l’attribution de 3 GW de projets solaires en 2024 et un accord avec Eni pour étudier une interconnexion électrique avec l’Italie, la capacité renouvelable installée plafonne à moins de 600 MW. Une inertie qui s’explique par des subventions gazières massives, décourageant les investissements verts, et par une bureaucratie paralysante.

Or, l’urgence de diversifier le mix se double d’un risque géoéconomique : la production gazière décline (baisse au champ Zohr), obligeant Alger à puiser dans ses réserves pour l’exportation et la consommation interne. Si la production gazière dédiée à l’électricité a encore augmenté de 4,7% en 2024, cette trajectoire est intenable face à la demande locale et aux engagements climatiques.

Selon le rapport de l’IEA, la demande d’électricité en Algérie devrait croître de 5,2% en moyenne par an jusqu’en 2027. Ainsi, sans un virage rapide vers les renouvelables – nécessitant des réformes tarifaires, un cadre juridique attractif et des partenariats technologiques –, l’Algérie risque de sacrifier sa sécurité énergétique à long terme sur l’autel d’une rente gazière éphémère, dans un marché mondial où l’hydrogène vert et les interconnexions méditerranéennes redéfiniront les équilibres régionaux.

Afrique du Sud : une reprise de la consommation fragile
Après cinq années de crise marquées par des délestages chroniques, l’Afrique du Sud enregistre une timide reprise de sa consommation électrique (+4,1% en 2024), portée par un double mouvement contradictoire : la réhabilitation des centrales à charbon (remise en service d’une unité de 800 MW à Kusile) et l’essor du solaire décentralisé, dont 4,4 GW ont été installés par des acteurs privés en 2024 grâce à l’assouplissement des régulations.

Ainsi, cette apparente stabilisation masque une réalité précaire. Si Eskom, la principale entreprise publique d’électricité en Afrique du Sud, a réduit les coupures depuis mars 2024, le système reste sous tension avec une capacité disponible limitée à 4,14 GW en moyenne, et la hausse des tarifs de 12,6% approuvée par le régulateur national de l’énergie d’Afrique du Sud (NERSA) pour 2025/2026 (après des augmentations cumulées de 31% depuis 2022). Ce qui risque d’exclure davantage de ménages précaires dans un pays affichant environ 30% de taux de chômage.

Parallèlement, le projet de plan de ressources intégrées 2023 (IRP) révèle une transition énergétique tiraillée entre deux logiques : il prévoit de maintenir la part du charbon (ajout de 1.440 MW) et de développer 11 GW de gaz, tout en réduisant de 29% les objectifs solaires et de 55% l’éolien par rapport au plan précédent. Une stratégie justifiée par des impératifs de stabilité du réseau, qui ignore partiellement le potentiel des renouvelables, pourtant cruciales dans un pays où les contraintes de transport (notamment au Cap-Nord) bloquent 3.470 MW de projets éoliens.

La libéralisation du marché, symbolisée par la création de la NTCSA et l’ouverture aux investisseurs privés dans les réseaux, pourrait inverser la tendance, mais son succès dépendra de la capacité à concilier justice sociale, sécurité d’approvisionnement et décarbonation, un équilibre complexe dans une économie où le charbon emploie encore 90.000 personnes et fournit quelque 85% de l’électricité.

Kenya : +3,2%
Le Kenya combine croissance modérée de sa consommation électrique (+3,2%) et leadership en énergies propres (90% du mix). La géothermie qui représente 41% de sa production totale d’électricité en 2024 et l’éolien structurent un modèle résilient, soutenu par des projets comme Menengai (70 MW).

Pourtant, les pertes réseau (23%) et le vandalisme en entravent l’efficacité. Le projet de centrale nucléaire (2034) et l’interconnexion avec la Tanzanie révèlent une vision à long terme, mais le défi de l’accès universel d’ici 2030 (79% en 2023) reste prioritaire.

Rappelons que le Kenya vise à diversifier son approvisionnement en électricité et prévoit de commencer la construction de sa première centrale nucléaire en 2027, celle-ci devant être mise en service en 2034. Une interconnexion entre le Kenya et la Tanzanie devrait bientôt être achevée.

L’objectif est de se connecter à la Zambie et de relier le pool énergétique de l’Afrique de l’Est (EAPP) au pool énergétique de l’Afrique australe (SAPP) d’ici à novembre 2025.

Maroc : +3%
Avec une croissance de sa consommation électrique de 3% en 2024, le Maroc illustre les paradoxes d’une transition énergétique en cours, mais encore incomplète. Le pays affiche un mix électrique en mutation, où les énergies renouvelables – solaire, éolien et hydroélectricité – représentent désormais 24% de la production, contre 18% en 2020. Une progression qui repose sur un essor remarquable du solaire photovoltaïque, dont la production devrait croître de 57% annuellement d’ici 2027, et de l’éolien (+15% par an), porté par des projets comme le parc de Tarfaya (300 MW).

Cependant, le charbon demeure un pilier incontournable, assurant 60% de l’approvisionnement malgré un déclin programmé de 2,5% par an. Cette dépendance persiste alors même que le pays vise 52% de capacités renouvelables d’ici 2030, un objectif ambitieux mais fragilisé par des défis structurels. Les sécheresses récurrentes, qui ont réduit la production hydroélectrique et motivé un plan d’urgence pour le dessalement, alourdissent la demande électrique.

En effet, les installations de dessalement fonctionnant en charge inflexible exacerbent les tensions sur un réseau déjà peu adapté à l’intermittence des énergies vertes. Face à ces contraintes, le Maroc a adopté en 2024 trois décrets clés : l’un pour promouvoir la mesure bidirectionnelle des flux électriques, essentielle à l’intégration des producteurs décentralisés ; un autre pour encadrer les certificats d’origine renouvelable ; et un troisième pour stimuler l’efficacité énergétique via des sociétés de services dédiées.

Ces mesures, bien que techniques, visent à corriger les déséquilibres d’un système encore tributaire des énergies fossiles, tout en préparant l’avenir. Toutefois, la réussite de cette transition dépendra de la capacité à moderniser le réseau, à gérer l’explosion de la demande liée au climat – notamment le dessalement – et à concilier sécurité d’approvisionnement et décarbonation, dans un contexte où le charbon reste une béquille difficile à remplacer.

Égypte : +1,6%
Avec une croissance anémique de sa consommation électrique de 1,6% en 2024, l’Égypte peine à répondre à une demande électrique pourtant modérée, minée par des coupures récurrentes et un déclin structurel de sa production gazière (-12% pour le champ Zohr depuis 2022). Une paralysie qui s’explique par un triple défi : la chute des revenus gaziers (le pays est devenu importateur net de GNL en 2024), une demande en climatisation qui explose (+8% annuel sous l’effet de vagues de chaleur fréquentes), et un réseau vieillissant.

Le rapport de l’IEA souligne que le gouvernement égyptien mise sur des projets phares pour sortir de l’impasse : la centrale nucléaire d’El Dabaa (4,8 GW d’ici 2030), dont le quatrième réacteur a démarré en 2024, et l’interconnexion avec le futur marché électrique arabe, visant à exporter des surplus. Autant de projets qui tardent à se matérialiser.

Dans l’urgence, Le Caire a lancé des appels d’offres massifs pour importer du GNL et accru ses réserves de fioul, alourdissant une facture énergétique déjà grevée par la dévaluation de la livre. En décembre 2024, le taux de change a dépassé les 50 livres pour un dollar, marquant une perte d’environ 50% de sa valeur par rapport au dollar depuis le début de l’année.

En parallèle, les subventions électriques, réduites de moitié depuis 2021, ont entraîné une hausse tarifaire importante (+50% en 2024 pour les ménages), amplifiant les tensions sociales dans un contexte d’inflation à 35%. Si les renouvelables progressent (+7,1% annuel), leur part reste marginale (6% du mix en 2024), éclipsée par l’urgence de sécuriser l’approvisionnement. Les projets d’hydrogène vert, bien qu’ambitieux, peinent à attirer des investisseurs face à des prix de l’électricité non compétitifs et une bureaucratie opaque. Résultat : l’Égypte incarne le paradoxe d’un pays sunbelt où le potentiel solaire reste sous-exploité, tandis que le nucléaire et le gaz – solutions lourdes et coûteuses – deviennent les piliers d’une transition énergétique… à contretemps des enjeux climatiques.

Bilal Cherraji / Les Inspirations ÉCO


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