« Souviens-toi des Abeilles », une réflexion sur l’humanité et la nature
![](https://www.lesiteinfo.com/wp-content/uploads/2025/02/Zineb-Mekouar.jpg)
Née à Casablanca en 1991, Zineb Mekouar a publié son deuxième roman, «Souviens-toi des abeilles», chez Gallimard en 2024. L’action se situe dans le plus ancien rucher collectif du monde, le village d’Inzerki, non loin d’Agadir. Alors que les abeilles se meurent, un petit garçon va être confronté à un lourd secret de famille…
Vous dites que l’universel est présent dans chaque âme. Comment trouve-t-on l’universel dans chaque âme ?
C’est en étant très sincère avec soi-même. C’est ce que j’essaye de faire dans mes livres, en allant au plus profond de soi, pour raconter des histoires avec sincérité et montrer la réalité. Quelle que soit l’histoire, quels que soient les contextes religieux, social, historique, géographique…, on a tous les mêmes peurs, la même volonté d’amour, d’amitié. On a la même joie, la même peine.
Les personnages de roman nous montrent ces sentiments, et l’on se rend compte que l’on a tous les mêmes émotions. C’est en cela que l’autre, même s’il est très différent, est aussi très proche de nous. Dans ce cas, on a cette altérité retrouvée que ce soit par rapport à nous-mêmes ou par rapport à l’autre. On est différents, mais on a tous quelque chose qu’on partage. Et c’est ça l’universel, selon moi. La littérature le montre par la mise en histoire d’émotions.
Comment la littérature aide-t-elle à se reconnaître dans l’altérité ?
La littérature est en soi universelle, parce qu’un bon livre, c’est un livre qui nous bouleverse. C’est un livre qui nous fait partir avec le personnage dans une histoire. Et puis l’on se dit : «Tiens, ça fait écho. Ah… peut-être le rapport à ma grand-mère, le rapport à mon père, le rapport à mon frère…». Et on s’y retrouve, même si ça n’a rien à voir avec nous. Donc ça résonne et la littérature est le plus court chemin pour aller vers l’autre et se rendre compte que l’on a les mêmes désirs, les mêmes rêves…
Après l’usage politique qui a pu être fait du terme «universel», est-ce que l’on n’aurait pas un problème de définition ?
Effectivement, quand on voit les pays d’Occident qui utilisent l’universel presque selon une géométrie variable, parfois on se demande : mais qu’est-ce que l’universel si on met davantage en avant telle guerre, ou telle victime ? On peut donc se demander quel est cet universel dont on parle si on ne le voit pas dans les faits et dans les actions.
En tant qu’écrivaine, je fais des récits d’intimité qui mélangent la petite histoire d’une famille avec la grande histoire. J’essaye de redonner leur voix à des personnes invisibilisées, de leur rendre leur place dans cet universel. Et nous sommes nombreux, dans ce Festival du Livre africain de Marrakech, à faire ce travail.
Nous le faisons parfois presque sans y réfléchir, mais simplement en mettant en scène des histoires au Maroc, dans d’autres pays, en Afrique, qui redonnent leur voix aux invisibles de l’histoire. Elles ont pu être racontées par d’autres, mais, là, nous prenons la plume pour nous raconter nous-mêmes et livrer notre vision intime de l’universel.
Votre dernier roman s’intitule «Souviens-toi des abeilles». Est-ce que, dans votre idée, il y aurait une universalité du vivant ?
Oui, totalement. C’est quelque chose qui vraiment m’importe. C’est remettre l’humain à sa juste place. On l’a souvent mis au centre de tout, avec notre croyance en notre toute-puissance. Mais on voit, avec le changement climatique, les tremblements de terre, les inondations… que nous ne sommes rien du tout. Nous sommes tout petits.
Albert Einstein disait que si les abeilles meurent, l’humanité n’aura plus que quatre ans de vie. Les abeilles ne font pas que du miel, elles pollinisent, font partie de tout un cycle. La nature est à la fois fragile et très puissante. Ce titre, «Souviens-toi des abeilles», est à la fois une métaphore de cette vulnérabilité et celle de l’humanité. Il peut signifier «souviens-toi de ta vulnérabilité», souviens-toi de ton humanité, puis souviens-toi que ta place est une place parmi les êtres vivants.
Nous avons beaucoup de choses à apprendre des personnes qui vivent au rucher Inzerki, par exemple, en harmonie, en équilibre avec la nature. Quand j’y suis allée faire mes recherches pour le roman, on me disait : «Il ne faut pas aller dans la forêt à tel moment, parce que sinon on est maudits». Mais si l’on fait un pas de côté, on remarque que c’est la période de floraison. C’est la période où les animaux s’accouplent.
Il s’agit donc de dire aux humains : «N’allez pas déranger cette forêt au moment où elle n’a pas besoin de présence humaine». C’est beau de voir comment ces sociétés vivaient en harmonie avec la nature. Malheureusement, je dis «vivaient» parce que c’est un monde crépusculaire. Avec l’exode rural, on est passé de 80 familles à 3 ou 4 dans ce village.
Le manque d’eau au Maroc est un enjeu crucial qui force les gens à partir vers les villes. Est-ce la seule solution ? C’est la question. Et puis aussi, est-ce qu’il n’y a pas une sagesse à préserver et, surtout aujourd’hui, à remettre en action ? Parce que, là, nous sommes à un moment où il faut vraiment se rendre compte de tout ça !
Murtada Calamy