Prise en compte des risques climatiques : comment éviter la faillite programmée de vos investissements
L’absence de prise en compte des risques climatiques fausse complètement la rentabilité réelle de vos projets d’investissement. Zoom sur l’importance de l’intégration des risques physiques climatiques dans l’évaluation financière des projets.
Le thermomètre grimpe, et, pour les financiers, il est temps de climatiser leurs évaluations financières ! Les récents événements climatiques extrêmes et leurs impacts dévastateurs ont mis en évidence l’urgence d’intégrer pleinement les risques physiques liés au climat dans l’évaluation financière des projets d’investissement. Pourtant, les approches actuelles de valorisation des projets peinent à capturer l’ensemble des coûts et bénéfices liés à la résilience climatique, selon une étude du Fonds vert pour le climat (GCF) intitulé «Climate-adapted project pipelines : How to financially incentivise well-designed climate projects».
«Les analyses économiques typiques ne considèrent pas les bénéfices liés à l’évitement des pertes et dommages induits par le changement climatique, la continuité des services fournis par des infrastructures résilientes ou les avantages supplémentaires des solutions fondées sur la nature», explique le rapport.
En conséquence, des indicateurs clés comme la valeur actuelle nette économique ne reflètent pas pleinement les gains pour le développement socio-économique offerts par des projets climato-résilients bien conçus. Pourquoi ? Tout d’abord, les analyses coûts-bénéfices standards ne prennent généralement pas en compte les pertes évitées grâce à des infrastructures résilientes face aux aléas climatiques comme les inondations, les sécheresses, les ouragans, etc.
Pourtant, ces coûts évités en termes de dommages aux biens, pertes d’activité économique, relocalisations de populations peuvent être substantiels. Ne pas les comptabiliser sous-estime grandement les bénéfices d’investir dans la résilience dès la conception des projets. Ensuite, ces analyses économiques négligent souvent les gains indirects permis par des infrastructures fonctionnelles même en cas de choc climatique majeur, comme relevé dans le précédent article. La continuité des services essentiels (eau, énergie, transports, etc.) permet d’éviter les perturbations socio-économiques coûteuses en cas de défaillance des infrastructures. Cela préserve l’activité productive, l’accès aux soins, l’éducation, et réduit les risques sanitaires. Ces bénéfices indirects sont rarement chiffrés.
De plus, lorsque des solutions fondées sur la nature (infrastructures vertes/bleues) remplacent des infrastructures grises traditionnelles, elles génèrent des avantages supplémentaires ignorés des analyses standards: préservation des écosystèmes, séquestration du carbone, amélioration de la biodiversité, de la qualité de l’air et de l’eau, etc. La non-monétisation de ces services écosystémiques conduit à sous-estimer la véritable valeur de ces solutions.
Ainsi, en omettant tous ces bénéfices, les indicateurs économiques classiques comme la valeur actuelle nette faussent la donne en faveur de projets moins résilients, au détriment du développement durable à long terme. Intégrer pleinement ces éléments dans les analyses permettrait de mieux valoriser les investissements climat-compatibles et d’orienter les financements en conséquence.
Pourquoi les risques climatiques sont-ils insuffisamment pris en compte?
L’étude du Fonds vert pour le climat (GCF) identifie plusieurs défis qui entravent une prise en compte adéquate des risques climatiques dans l’évaluation financière des projets. À commencer par l’analyse économique incomplète des bénéfices proposés pour déterminer l’impact réel d’un projet.
Les analyses devraient inclure les pertes évitées grâce à une meilleure résilience climatique, les gains en continuité des activités et la réduction de l’endettement pour les pays, régions et villes. Deuxième explication de cette insuffisance : la considération inadéquate des risques physiques climatiques dans les évaluations financières des projets. Les ratios financiers actuels n’incitent pas à une approche intégrée de la résilience climatique, pourtant nécessaire pour éviter les défaillances en cascade des infrastructures.
Autrement dit, les évaluations financières actuelles des projets d’infrastructure ne tiennent pas suffisamment compte des risques physiques importants posés par le changement climatique (hausses des températures, élévation du niveau de la mer, événements météorologiques extrêmes, etc.). Cette sous-estimation des risques conduit à une mauvaise appréciation de la vulnérabilité des infrastructures et des coûts potentiels en cas de défaillance.
Ce qui fausse les ratios financiers clés comme le taux de rendement interne ou la valeur actuelle nette, qui ne reflètent pas correctement la nécessité d’investir dès la conception dans des mesures d’adaptation et de résilience. Sans une considération adéquate de ces risques projetés, les analyses économiques traditionnelles n’incitent pas à privilégier des approches intégrées de résilience aux chocs en cascade pour les infrastructures interconnectées. Troisièmement, l’absence d’une méthodologie convenue pour monétiser les coûts et bénéfices liés au climat dans les analyses coûts-bénéfices.
En effet, il n’existe actuellement pas de cadre méthodologique communément admis pour attribuer des valeurs monétaires aux coûts et bénéfices liés au climat dans les analyses coûts-avantages des projets. Cette lacune entrave sérieusement la capacité à démontrer les impacts économiques positifs de l’investissement dans l’adaptation climatique. Faute de pouvoir monétiser de manière fiable et consensuelle des éléments comme les dommages évités, la valorisation des services écosystémiques, les bénéfices indirects permis par la continuité des infrastructures, etc., ces bénéfices restent ignorés des analyses économiques.
Ce qui bride la justification financière des projets climato-résilients par rapport à des options moins coûteuses à court terme mais vulnérables. Le développement d’une méthodologie rigoureuse et harmonisée pour monétiser ces enjeux climatiques dans les analyses économiques permettrait de mieux rendre compte de la véritable rentabilité socio-économique des investissements dans la résilience face aux dérèglements climatiques.
Financer des projets à plus fort impact à moindre coût
En valorisant ces avantages, une approche intégrée de la résilience climatique permettrait aux investisseurs de «promouvoir des projets à plus fort impact à moindre coût tout au long du cycle de vie», selon le document du GCF. L’intégration systématique des risques physiques climatiques dans l’évaluation financière des projets apparaît donc comme un levier essentiel pour mobiliser les financements nécessaires à une transition résiliente dans la région MENA et au-delà.
Bilal Cherraji / Les Inspirations ÉCO