Bank Al-Maghrib s’exprime, pour la première fois, pour nos confrères de Les Inspirations ECO, sur cette affaire de trafic de drogue et de blanchiment d’argent sale qui secoue le landerneau médiatique et fait trembler les départements de Conformité dans les banques. Car les dégâts collatéraux pourraient être dévastateurs.
Quelle est la nature des irrégularités que relèvent les inspections de Bank Al-Maghrib sur l’application de règles anti-blanchiment ?
Le cadre légal et réglementaire prévoit que le secteur bancaire déploie un dispositif de vigilance afin de contribuer à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Ce dispositif prévoit la mise en place d’une cartographie des risques, des mesures de connaissance de la clientèle, de filtrage par rapport aux listes de sanctions, de profilage de la clientèle et la déclaration des opérations suspectes auprès de l’Autorité nationale de renseignement financier (ANRF).
Ces mesures doivent s’appuyer sur un dispositif de formation du personnel du réseau ainsi qu’une fonction conformité en central chargée d’animer le dispositif. Lors de ses contrôles, Bank Al-Maghrib est amenée à évaluer la conformité du dispositif, à signaler les insuffisances, à exiger des plans de remédiation des dysfonctionnements constatés et à sanctionner les manquements conformément à la réglementation en vigueur.
Malgré la directive de Bank Al-Maghrib, le réseau bancaire continue d’accepter des dépôts en cash en dizaines, parfois en centaines de milliers de dirhams comme si de rien n’était. Ce dont se plaignent certaines qui, elles, s’en tiennent rigoureusement à la réglementation. Que répondez-vous à ceux qui vous accusent de passivité et de «fermer les yeux» ?
L’évaluation nationale des risques de blanchiment des capitaux réalisée périodiquement par l’ensemble des autorités intervenant dans la prévention et la répression des infractions de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme, sous la coordination de l’Autorité nationale du renseignement financier, fait ressortir les opérations de versement en cash en tant que typologie d’opération cotée à risque élevé.
Ces opérations, à l’instar des autres typologies d’opérations considérées à risque élevé, doivent donner lieu à des mesures de mitigation des risques par les acteurs soumis à la vigilance tenant compte de la connaissance et du profilage de la clientèle et des informations y afférentes.
Toutes les opérations présentant un caractère suspect doivent alors faire l’objet d’une déclaration de soupçon auprès de l’ANRF, tenant compte des éléments du dispositif de vigilance mis en place. Lorsque des manquements dans ces dispositifs sont constatés lors des contrôles de Bank Al-Maghrib, les établissements concernés font l’objet de sanctions disciplinaires et pécuniaires à leur encontre.
La forte circulation du cash dans le commerce, le blanchiment et l’évasion fiscale sont des phénomènes qui s’auto-alimentent. Envisagez-vous des mécanismes de coopération avec les autorités fiscales afin de rendre plus efficace la lutte anti-blanchiment et, par ricochet, contre la triche à l’impôt ?
La loi relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux prévoit la nature des infractions sous-jacentes qui sont retenues pour qualifier une opération de blanchiment. Cette loi n’inclut pas l’évasion fiscale parmi les infractions sous-jacentes. Les autorités fiscales disposent des prérogatives légales concernant l’évasion fiscale, y compris le droit d’accès à toutes les informations détenues par les tiers détenteurs. Bank Al-Maghrib prête assistance à ces autorités pour accéder aux données bancaires y afférentes.
Combien de signalements vous sont parvenus en 2023 de la part des banques et de tous les acteurs et entités soumis au devoir de vigilance ?
Les déclarations suspectes sont opérées par les établissements de crédit, ainsi que toute autre entité soumise au devoir de vigilance, auprès de l’Autorité nationale du renseignement financier (ANRF), en charge de leur instruction et des suites à y réserver.
Quelle leçon tirez-vous de l’affaire «Escobar du Sahara» ?
Bank Al-Maghrib assure un suivi rapproché de ce dossier, lequel se trouve actuellement dans sa phase judiciaire, et prête main forte aux autorités pénales à travers la fourniture des éléments d’informations bancaires nécessaires. En tant que régulateur bancaire, Bank Al-Maghrib examine tous les éléments de cette affaire pour en tirer les conclusions nécessaires et prendre toutes mesures de remédiation appropriées.
Dans le même sens, les différentes autorités concernées par le dispositif préventif ne manqueront pas de coordonner leur action au vu de cette affaire afin de poursuivre la consolidation du dispositif national de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, en conformité avec les recommandations du GAFI.
Par Abashi Shamamba